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Hauranne, dans son voyage en Amérique, qu’aux États-Unis seulement ils avaient pu fonder ces associations puissantes et exercer ces influences qui ailleurs seraient regardées comme un danger public. C’est un archevêque catholique, le chef du diocèse de Cincinnati, qui disait publiquement il y a deux ou trois ans : « Je ne demande pas l’union de l’église et de l’état ; je repousse une pareille union. Je préfère la condition de l’église aux États-Unis à sa situation en Italie, en France, en Espagne, en Autriche, en Bavière. » Ce sentiment de l’archevêque Purcell a été plus d’une fois exprime avec non moins de vivacité par les évêques du Canada : ils ont repoussé la protection et le salaire de l’état en disant que cette alliance leur ferait perdre toute autorité sur leur troupeau. On trouverait de pareilles déclarations en Irlande. Les catholiques ont en général peu de goût pour la liberté religieuse ; mais, quand ils en ont essayé, ils n’y tiennent pas moins que les protestans. Ils s’aperçoivent bientôt que cette indépendance, qui a fait l’honneur et la puissance de l’église durant son âge héroïque, vaut mieux que cette alliance précaire qui asservit les fidèles et amoindrit la religion. Ce n’est point par la force que l’église a conquis le monde païen ; si elle veut reconquérir le monde moderne ; qu’elle reprenne ses anciennes armes, qu’elle recoure encore une fois à la liberté.

L’exemple des États-Unis gêne une certaine école qui, en plein XIXe siècle, n’a d’autre rêve que de restaurer le passé. L’Amérique est, pour ces profonds politiques, un embryon de société, un peuple à peine éclos : il faut attendre les résultats d’une expérience qui n’est pas achevée ; la civilisation ramènera tôt ou tard les Américains aux splendeurs du régime européen. Je n’espère pas convaincre des gens qui lisent l’histoire à l’envers ; mais je m’adresse à ceux qui cherchent sincèrement la vérité, et je leur dis : Voilà un peuple sorti d’Angleterre qui, sur un nouveau continent, a gardé la religion, la langue, les lois, les mœurs, les idées de son ancienne patrie. Placés dans des conditions nouvelles, n’ayant à porter ni le fardeau d’une noblesse, ni les privilèges d’une église établie, les Américains ont tiré des libertés anglaises la plus grande et la plus florissante démocratie que le monde ait jamais vue. Dans trois ans, ils vont célébrer le centenaire de la déclaration d’indépendance, Il n’y avait pas 3 millions de colons au 4 juillet 1776 ; il y aura 40 millions de citoyens au 4 juillet 1876. Une nation qui s’est ainsi développée, un pays qui, avec une énergie sans égale, a pris l’esclavage corps à corps et l’a étouffé au prix de sacrifices inouïs, a rempli de sa grandeur un espace de temps assez vaste pour que l’épreuve de ses institutions ne soit plus à faire. Quand donc avons-nous eu dans notre histoire un siècle de bonheur et de liberté ?