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si quelque téméraire organisait une révolte, ou s’il prêchait qu’il ne faut ni officier, ni capitaine, ni lois, ni commandant, ni ordre, ni châtiment, parce que tous les hommes sont égaux en Christ, est-ce que le capitaine n’aurait pas le pouvoir de s’opposer à ces transgressions, et de les punir suivant leur gravité ?…. Ce vaisseau, ajoutait Roger Williams, est l’image de la société et de l’église. » Il avait raison ; mais en 1635 on le dénonçait comme un athée, et je ne doute pas qu’aujourd’hui, en plus d’un pays qui se glorifie de la pureté ou de l’antiquité de sa foi, on ne déclarât que ceux qui soutiennent de pareilles doctrines sont des esprits faux et dangereux. Que deviendrait le monde, si on ne pouvait plus se quereller, et au besoin même s’entr’égorger au nom d’une religion de paix et d’amour ?

Les idées de Roger Williams, de Penn et de lord Baltimore étaient trop loin des préjugés contemporains pour avoir chance de triompher : aussi, sauf un petit nombre d’exceptions, l’union de l’église et de l’état fut-elle la loi commune des colonies anglaises jusqu’à la guerre d’indépendance. On en vint peu à peu à tolérer les dissidens, hormis les catholiques, mais c’était une tolérance de fait plus que de droit, et elle n’allait pas très loin. En chaque province, il y avait une église établie, pour l’entretien de laquelle on taxait tous les habitans, quelle que fût leur foi particulière. C’est au nom de l’ordre public qu’on essayait de justifier cet impôt. Si l’enseignement religieux, disait-on, ne sauve pas les âmes, au moins prévient-il les crimes. A New-York et dans les états du sud, l’église anglicane était l’établissement officiel ; dans la Nouvelle-Angleterre, c’était l’église congrégationaliste. Chacun de ces cultes ne se faisait faute de défendre sa suprématie par des pénalités. Les dissidens étaient tenus de respecter l’orthodoxie légale. En 1774, deux ans avant la déclaration d’indépendance, six membres de l’église baptiste furent emprisonnés en Virginie pour avoir publié leurs opinions religieuses. L’émotion que causa cette condamnation indiquait qu’un changement s’était fait dans les esprits. L’ère de la liberté approchait.

La révolution qui affranchit les colonies hâta une réforme désirée. Dans les états du sud, l’église anglicane avait beaucoup perdu de sa popularité ; elle avait le tort de rattacher l’Amérique à l’Angleterre, quand tout lien politique était rompu. Jefferson saisit cette occasion pour introduire en Virginie la pleine liberté religieuse. La loi qu’il avait proposée, et que Madison avait soutenue avec un grand talent, fut promulguée le 16 décembre 1785. C’est une date que l’histoire devrait conserver avec plus de soin que celle de ces batailles, qui ne laissent après elles que le souvenir du droit violé et l’horreur du sang versé.

Cette loi, qui a passé dans les constitutions de la Virginie en