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étrangère à ces méfaits. Quand une crise éclate, si les particuliers sentent que l’atmosphère qu’ils respirent est infectée à ce point, leur anxiété redouble. La crise dégénère en panique et fait de plus grands ravages. Il est donc vraisemblable que la crise des États-Unis est rendue plus violente par les faits immoraux qui se sont produits depuis quelque temps.

Cela ne veut point dire assurément que la société américaine soit démoralisée, et par conséquent menacée de décadence. La race anglo-saxonne a ce mérite, par lequel elle surpasse la nôtre, qu’elle porte en elle une puissance indéfinie de réaction. Comptant sur elle-même, elle ne désespère jamais de l’avenir, et, à force de résolution et d’activité, elle se tire des passes les plus mauvaises. San-Francisco, il y a douze ou quinze ans, était une ville où l’écume du monde civilisé faisait la loi, où d’anciens voleurs de grands chemins occupaient des emplois considérables. Aujourd’hui à San-Francisco, les fonctions publiques ne sont confiées qu’à des hommes recommandables, le règne des lois est établi, chacun travaille et vit en sécurité, tant le génie de la race anglo-saxonne sait réagir contre le crime et le vice.

Il en sera de même, à plus forte raison, dans des cités telles que New-York, où les bons élémens sont en immense majorité ! On peut en trouver le gage dans un document des plus sérieux : c’est le message adressé, à l’ouverture de la dernière session, à la législature locale par le gouverneur de l’état auquel appartient cette opulente et populeuse métropole. Ce gouverneur est le général Dix, homme respectable et ferme, qui a occupé pendant une suite d’années, avec honneur, le posté de ministre des États-Unis à Paris. Dans ce message, il a fait en traits énergiques le tableau des scandales financiers dont venait de se déshonorer l’administration municipale de New-York ; il a dénoncé ces infamies à ses compatriotes, et il a conjuré la législature d’adopter les mesures nécessaires pour en prévenir le retour.

Les recommandations du général Dix seront sans doute écoutées, il y va de l’honneur et de la liberté des Américains, car avec des fonctionnaires pervertis la liberté n’est qu’un vain mot ; mais il reste toujours deux faits, l’un que la crise américaine est rendue plus rigoureuse par l’invasion de l’esprit de dol et de déprédation, contre lequel l’opinion publique ne se montrait pas assez sévère, — l’autre, d’intérêt plus général, qu’une nation qui est digne d’institutions libres n’a qu’à le vouloir pour secouer définitivement le joug des malhonnêtes gens et des aventuriers quand elle a eu le malheur de les subir.


CH. DE MAZADE.

Le directeur-gérant, C. BULOZ.