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ultra-protectioniste de la douane américaine ; mais, quelque résolu qu’il soit contre le protectionisme, il déclare hautement que le papier-monnaie est un mal bien plus grand encore. Il est à remarquer qu’en vue de la prochaine élection présidentielle les partis se préparent déjà, et le parti démocratique, opposé au général Grant, inscrit en tête de son programme l’abolition du papier-monnaie. Par là il se flatte non sans raison de rallier à lui la plupart des hommes éclairés. Si le général Grant est bien inspiré, et si le parti qui le soutient est clairvoyant et habile, il est probable qu’avant l’élection, qui n’aura lieu qu’en 1876, le président et son parti, prenant les devans sur leurs adversaires, saisiront le congrès de la proposition de rentrer à bref délai dans un système monétaire régulier et bien assis.

Il faut le dire aussi, une cause spéciale à l’Amérique a dû peser sur la crise actuelle pour l’aggraver. C’est la méfiance due à l’audacieuse immoralité de quelques catégories de personnes. Rien n’est petit chez les grands, dit-on. L’Amérique, qui peut se vanter de pouvoir présenter au monde tant d’hommes d’affaires consommés aussi remarquables par leur honorabilité que par leur intelligence, fournit en même temps des types prodigieux en fait de fripons, de faussaires ou de voleurs des deniers publics. Les quatre associés qui avaient dérobé à la Banque d’Angleterre une somme d’environ 3 millions 1/2 de francs, et qu’une cour d’assises anglaise vient de condamner aux travaux forcés à perpétuité, sont des personnages exceptionnels par la supériorité de leurs combinaisons. L’art de falsifier les titres parait être cultivé sur une vaste échelle en Amérique et avec un remarquable succès, La crise actuelle semble avoir coïncidé à New-York avec l’apparition des titres falsifiés. Quant au détournement de fonds dans des institutions de commerce et de crédit ou chez des particuliers, l’Europe peut sans doute en offrir des exemples ; mais les crimes de ce genre sont plus éclatans encore en Amérique ; ils y sont commis avec plus d’effronterie et ils n’y trouvent pas la répression qui les attend chez nous.

En matière de deniers publics, il se produit des actes d’improbité plus scandaleux encore, et, chose regrettable, jusqu’ici l’opinion publique les réprouvait assez mollement. Au lieu de les qualifier du nom qu’ils méritent, on a imaginé pour ces cas-là un terme anodin, celui de défalcation. Dans la grande cité de New-York, les détournemens des deniers municipaux qui ont eu lieu tout récemment sont dans des proportions effrayantes ; on a parlé de 75 ou 80 millions de francs. Supposons qu’il y ait une exagération du simple au double, ou même au triple, ce serait encore une monstruosité. Circonstance fort aggravante, ces soustractions ne sont pas le fait d’un individu isolé ; le nombre des complices est très grand. Beaucoup de conseillers municipaux ou de fonctionnaires de la ville y ont trempé à des degrés divers. Bien plus : la magistrature locale, au moins par sa tolérance manifeste et prolongée, n’était pas