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victorieuse, un moment indécise dans ses préférences, devait se rallier bien vite à cette restauration de royauté qui rétablissait une solidarité d’origine, de politique, entre le nouveau gouvernement de la France et les souverains. Tout était favorable, et cependant les princes de la maison de Bourbon, Louis XVIII par la déclaration de Saint-Ouen, le comte d’Artois à son entrée à Paris, croyaient devoir rassurer la France par les déclarations les plus libérales sur les institutions parlementaires, sur la liberté des cultes et de la presse, nous oserions dire sur l’inviolabilité de toutes les conquêtes essentielles de la révolution française. Aujourd’hui c’est bien autre chose. L’empire n’existe plus ; mais la république existe, depuis trois ans elle est le gouvernement de la France. C’est avec elle qu’on a pu délivrer le sol national occupé par l’étranger comme en 1814 et entreprendre la réorganisation du pays, rétablir l’ordre et la sécurité. En Europe, il n’y a plus une sainte-alliance favorable et amie, on a plutôt à vaincre ou à désarmer des alliances hostiles que, par une imprudence de plus, on se fait un jeu de provoquer. Ainsi une Europe ennemie ou indifférente à se concilier, un gouvernement existant à remplacer, un pays pacifié à convaincre, ce sont là des difficultés bien autrement graves, et cependant on ne va pas même jusqu’à une déclaration de Saint-Ouen, c’est-à-dire qu’après soixante ans de développement politique on promet moins que le roi Louis XVIII en 1814. On laisse entrevoir à la France un gouvernement qu’on ne définit pas et des guerres possibles comme gage de bienvenue d’une politique de congrégation.

Voilà où l’on en vient. Quand nous disons que la question est mal engagée, c’est évident. De deux choses l’une : ou M. le comte de Chambord persiste réellement dans les idées que ses amis lui prêtent, que les journaux légitimistes ne cessent de défendre, et alors on n’a pas même à se préoccuper de négociations inutiles, tant la restauration d’une monarchie de ce genre est impossible, ou bien il a une autre politique en réserve, et il tarde trop à parler au pays. On attend trop longtemps aussi pour avoir de lui une explication décisive. On ne paraît pas soupçonner ce qu’il y a de puéril et même d’assez humiliant dans ces discussions entre la monarchie « constitutionnelle » et la monarchie « traditionnelle, » entre le drapeau blanc et le drapeau tricolore. Que M. de Sugny et M. Merveilleux-Duvignaux aillent à Frohsdorf et en reviennent, que les députés de la droite et du centre droit se réunissent à Versailles pour proclamer leur bon accord en gardant un silence prudent sur tout le reste, c’est fort bien. Pendant ce temps, sait-on ce qui arrive ? Tous ces tiraillemens et ces lenteurs n’ont d’autre effet que de laisser un peu partout une impression d’incrédulité et de scepticisme. On se dit que tout cela ne peut conduire à rien, que la monarchie, redevenue un instant possible, est aujourd’hui plus difficile que jamais. Le pays, quant à lui, le pays, qui est fort peu engagé dans ces affaires, se sent assez maître de lui-même pour ne pas se croire perdu parce que la monarchie ne sortirait pas de