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REVUE. — CHRONIQUE.

zèle aussi discret qu’infatigable, à cette œuvre laborieuse, semblent ne pas se douter qu’ils ne sont pas seuls, que le pays les regarde et les écoute ou interroge leur silence, que ces lenteurs, ces obscurités et ces mystères dont on s’enveloppe deviennent précisément aux yeux du public l’indication significative des difficultés qu’on rencontre. Cela prouve qu’on tourne toujours et qu’on n’a pas trouvé. Cela prouve, à notre sens, bien autre chose : c’est le signe certain et manifeste que la question est mal engagée, mal posée, qu’on se fie beaucoup trop aux chuchotemens, aux combinaisons plus ou moins habiles, aux délibérations de petits conclaves, là où il aurait fallu au contraire une extrême netteté, un sentiment large et supérieur de la situation, une franchise confiante, presque audacieuse, dans la manière de traiter avec la France de ses intérêts, de ses besoins et de son avenir. Le résultat est l’incertitude qui règne plus que jamais aujourd’hui.

Cette entrevue de Frohsdorf, qui rendait des chances à la monarchie par une grande réconciliation de famille, par la reconstitution de l’unité dynastique, cette entrevue était, à n’en pas douter, un événement d’une importance sérieuse. Peut-être même le sentiment de l’importance de la visite du 5 août a-t-il été plus vif chez les adversaires que chez les partisans de la monarchie. Assurément, si au lendemain de cette entrevue M. le comte de Chambord s’était adressé au pays dans un langage cordial et simple, ne marchandant à la France ni ses droits, ni son passé depuis quatre-vingts ans, ni ses idées, ni son drapeau, allant même au-devant des ombrages que son nom peut susciter, se bornant à présenter la monarchie comme une garantie de stabilité plus précieuse encore dans nos malheurs, comme une institution conciliant les traditions françaises avec les libertés modernes, si M. le comte de Chambord eût agi et parlé ainsi, nous ne disons pas que tout se serait accompli comme par un coup de théâtre ; ce langage du moins n’aurait pas manqué de grandeur, et il aurait pu avoir son effet ; il aurait pu donner à réfléchir, dissiper des préjugés et des méfiances. Le pays se serait dit que c’était là peut-être encore pour lui un moyen de recommencer sa vie dans des conditions de sécurité nouvelle sans se renier lui-même, sans abdiquer ces instincts de libéralisme qui sont devenus son essence. Il se serait dit qu’il y avait la république aux États-Unis, en Suisse, mais que l’Angleterre, la Belgique, avec la monarchie, étaient au moins aussi libres que l’Amérique ou la Suisse, qu’une institution plus stable revêtue du lustre de la tradition pouvait l’aider à renouer ses relations, à reprendre son rang dans le monde. Le pays se serait dit tout cela simplement, librement, et le traité de paix eût été peut-être signé sans qu’il y eût assurément ni une humiliation pour le représentant de la royauté, ni une abdication pour la France.

Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? M. le comte de Chambord s’est tu, et les petits conciliabules ont commencé. Il y a deux mois bientôt qu’on en