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LA BRANCHE DE LILAS.

femmes, j’écris pour les militaires. » C’est à cette catégorie de lecteurs qu’elle a probablement voulu consacrer le joli type de Cigarette, une vivandière de l’armée d’Afrique, l’héroïne de son roman d’Under two flags. Ouida témoigne à la France, chaque fois que l’occasion s’en présente, de chaleureuses sympathies ; elle lui appartient d’ailleurs par sa famille, qui en est originaire, et même par ses qualités littéraires : l’esprit souple, mordant, indépendant, aventureux, une grâce à part, mondaine et cavalière, je ne sais quelle fougue l’emporte bien loin du domaine de la froide morale émaillée de citations bibliques, domaine ordinaire de la plupart des femmes auteurs en Angleterre. Il lui reste à se corriger d’une certaine tendance au paradoxe qui va jusqu’à lui dicter une espèce d’apologie de la commune, qu’évidemment elle n’a pas vue de près. Cette réserve faite, nous croyons pouvoir offrir au lecteur de la Revue le récit ému, passionné, que Mlle de La Ramée a intitulé la Branche de lilas.

Ce récit, où l’adultère, si longtemps proscrit par les romanciers anglais, est abordé résolument et poussé à ses dernières conséquences, nous paraît donner la mesure de l’influence qu’exerce depuis quelques années notre littérature sur celle de nos voisins, et qu’un critique a comparée à la transfusion du sang. Personne n’a subi cette influence plus vivement que le romancier connu sous le nom de Ouida. La verve de son style, la témérité naturelle de sa brillante imagination, une légèreté de plume enfin, rare en son pays, lui permettent de s’aventurer mieux qu’un autre dans ces régions périlleuses dont l’exploration nous a valu tant d’anathèmes de ceux-là même qui finissent par nous imiter. George Sand a souvent inspiré Ouida ; l’imitation était surtout flagrante dans ce roman d’Idalia, dont l’héroïne, une sorte de Circé républicaine, courtisane de réputation, vierge de fait, se sert des philtres de sa beauté pour gagner des partisans à la cause italienne.



I.

Oui, je serai fusillé dès l’aube, on le dit, — et pour une branche de lilas ! Vous ne me croyez point ?.. Souvent, pour faire tuer un homme, il n’en a pas fallu davantage. Un regard, un sourire, une larme, une fleur fanée, — c’est peu, et c’est beaucoup quand cela vient d’une femme, — beaucoup, tout le présent, tout le passé, tout l’avenir.

Voici le lilas,… regardez. Il n’a plus ni couleur, ni parfum, ni beauté, il est flétri ; ne dirait-on pas un amour mort ?