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masses serrées de tous les points du campement, se précipitèrent dans ce couloir étroit, qui depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil fut encombré par une foule immense. Les pèlerins ne se contentent pas de se plonger dans ces flots bien vite infectés, ils y déposent les cendres de leurs parens défunts, ils y lavent leurs vêtemens. De plus ils boivent tous sans exception de l’eau du fleuve, et quand plusieurs membres d’une même famille se baignent ensemble, chacun donne à boire aux autres dans sa main. Dès le lendemain 13 avril, huit cas de choléra furent reçus dans les hôpitaux de Hurdwar, où l’on n’en avait pas vu un seul depuis plus de neuf ans. Les pèlerins, se dispersant de tous côtés pour retourner chez eux, répandirent rapidement le mal. Partout l’explosion du fléau suivit de près le retour des pieux voyageurs. Le 21 mai, le choléra régnait épidémiquement à Peshawar, où il fit périr 92 hommes de la garnison. De là il passa dans le Kachmir et dans l’Afghanistan. Vers la fin de 1867, il était en Perse, d’où il gagna la Russie orientale, pour se répandre peu à peu dans presque toute l’Europe. Or M. Blanc, d’accord avec beaucoup de médecins anglais de l’Inde, est convaincu que l’eau infectée du Gange est le moyen par lequel les quelques pèlerins qui étaient arrivés du fond de l’Inde à Hurdwar avec le choléra ont transmis cette affection à la plupart des autres.

L’épidémie de choléra qui a désolé l’Amérique en 1866 fournit une autre preuve de la propagation du choléra par l’eau potable. On trouve dans les documens officiels du département de la guerre à Washington des témoignages comme celui-ci : « Les troupes dans les casernes ont joui d’une grande immunité. Le 116e régiment, campé près de l’hôpital de Sedgwick, et pourvu là d’eau de citerne, a été entièrement exempt de choléra. Tout récemment ce régiment a été envoyé en garnison dans la ville. Durant un ou deux jours, l’eau de citerne et l’eau distillée vinrent à manquer en partie, quelques hommes burent de l’eau du Mississipi. Immédiatement deux cas de choléra se déclarèrent. De l’eau distillée fut de nouveau fournie aux hommes, et il n’y eut plus un cas de choléra dans le régiment. » Les tribus aborigènes qui habitent les bas-monts du Bengale, depuis Orissa jusqu’à Nagpore, ont la plus grande aversion pour les gens de la plaine, et ces derniers, Hindous orthodoxes, croiraient se perdre en touchant à la nourriture, en buvant de l’eau ou en se servant des vêtemens des aborigènes. Or il arrive que ceux-ci ne connaissent pas le choléra. Ils n’ont certes pas plus de souci de l’hygiène que les Hindous de la plaine, mais les eaux qu’ils boivent ne subissent pas le contact de malades ni d’objets souillés. M. Blanc invoque enfin le témoignage de M. Murray, inspecteur-général des hôpitaux du Bengale. M. Murray a fait en juin 1869 un rapport officiel qui est un résumé des informations recueillies par près de cinq