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ils soulèvent, ils brassent les 1,000 ou 1,200 kilogrammes de matière incandescente qui bouillonne dans le four. Or voici que ce travail exténuant, pendant lequel les forces musculaires de l’ouvrier s’épuisent douloureusement, disparaît peu à peu de la soudière. On commence à remplacer le four à soude ordinaire par un appareil nouveau qui de lui-même, au moyen d’un mécanisme approprié, détermine au sein de la masse génératrice de la soude l’agitation nécessaire à la formation de cet alcali ; cet appareil est un énorme cylindre horizontal de 5 mètres de longueur sur 3 mètres de diamètre auquel une petite machine à vapeur imprime un mouvement de rotation sur son axe, et que traverse de bout en bout la flamme d’un foyer. Les matières premières jetées pêle-mêle, agitées, soulevées sans cesse par la rotation même du cylindre, réagissent rapidement les unes sur les autres, et la soude se forme sans que le bras d’un manœuvre soit nécessaire pour faciliter la réaction. Le rôle de l’ouvrier soudier se borne à diriger la machine motrice, dont il accélère ou ralentit la marche, travail où l’attention intelligente se substitue à l’effort brutal.

Par une naturelle transition, M. Aimé Girard entretient ensuite l’auditoire d’un autre alcali, rival de la soude, la potasse. Jadis on extrayait la potasse des cendres de bois. C’est parce que ces dernières contiennent beaucoup de potasse soluble mélangée à des sels calcaires et à des produits siliceux insolubles qu’on les emploie pour la lessive du linge. Tant que la consommation du bois n’a pas dépassé certaines proportions, on a pu l’incinérer pour en extraire la potasse. Malheureusement le bois devient de jour en jour plus rare ; force a donc été de renoncer au salinage, qui n’est plus pratiqué que dans quelques parties de la Russie et en Amérique. Où prendre par suite la potasse que la fabrication du cristal, des savons mous, du salpêtre, consomme en si grandes quantités ? C’est l’industrie du sucre qui, la première, a fait concurrence à la fabrication des potasses forestières. La betterave enlève au sol où elle végète les sels de potasse qu’il contient. Une betterave de 2 kilogrammes renferme près de 2 grammes de ces sels. Soumise aux opérations successives que la préparation du sucre comporte, cette racine fournit en définitive trois produits, un tourteau que l’on donne à manger aux bestiaux, du sucre et de la mélasse. Eh bien ! c’est dans la mélasse que se concentrent les potasses de la betterave, et c’est de la mélasse que M. Dubrunfaut a découvert en 1840 le moyen de les séparer. Cette source, qui fournit à la France près de 6,000 tonnes de potasse par an, n’a pas tardé à être insuffisante, et les industriels ont dû se préoccuper d’en chercher une autre. C’est alors qu’on a songé à cette Mme inépuisable de potasse qui est l’eau de mer ; Parmi les composés salins que l’eau de mer tient en