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en vertu de cet axiome, qu’il faut être et faire comme tout le monde. Le mariage est donc devenu en réalité plus difficile même pour ceux-là pour ces gens raisonnables qui savent apprécier à leur valeur les joies et les devoirs de la famille. On les voit plus d’une fois reculer devant des charges auxquelles ils craignent de ne pas pouvoir suffire. Il en est de même de ceux qui ne pensent qu’à leurs aises et à l’apparence. La femme, a-t-on dit, est devenue un objet de luxe, un de ceux dont l’entretien coûte le plus. Convaincus que le mariage est fait pour rendre la vie plus large, pour ajouter à ses agrémens, non à ses devoirs, et bien résolus à ne pas augmenter le nombre de ces ménages où l’apparence de richesse et la gêne vivent côte à côte, ils regardent de ce qu’ils considèrent comme une folie. Tous pourtant ne poussent pas la logique jusqu’au célibat ; mais ils regardent les enfans comme un fléau. Un héritier unique, deux au plus, voilà le but de leurs calculs. Les enfans en effet sont les ennemis-nés des superfluités dispendieuses. Franklin a dit qu’il en coûte plus pour nourrir un vice que plusieurs enfans ; faut-il croire que de son temps les enfans coûtaient moins cher et le vice davantage ? Je n’en sais rien, mais c’est certainement du principe qu’il faut avant tout satisfaire ses besoins de plaisir, de vie mondaine et de représentation, que l’on part aujourd’hui pour économiser le nombre des enfans en colorant ce calcul d’un autre en apparence moins égoïste, la crainte que des héritiers plus multipliés ne soient condamnés à déchoir ! Déchoir, c’est-à-dire n’avoir pas la totalité de ce qu’on s’est habitué à regarder comme un niveau au-dessous duquel il n’y a pas moyen honnêtement de descendre. Déchoir et ne pouvoir plus vivre, c’est pour bien des gens avoir par exemple moins de quarante mille francs de revenu.

Nous n’avons pas à insister sur tout ce qu’entraîne d’immoral la stérilité systématique dont les pratiques sont portées en ce moment, aux États-Unis, trop souvent jusqu’au crime : nous restons en France. La France est peut-être le pays le plus engagé dans la voie de la stérilité volontairement pratiquée, notons-le, non pas, selon les conseils donnés par Malthus sous toute sorte de réserves morales, par la classe pauvre, mais par la classe aisée ou riche, au grand préjudice de la puissance nationale. La diminution dans l’accroissement normal de la population est un mal, quoi qu’aient paru en penser certains économistes qui semblent s’affliger toutes les fois qu’il naît un homme. Ce sont bien des hommes en effet et non pas des enfans destinés à la mort que, selon les probabilités, on empêche de naître. En effet, la vie probable et la vie moyenne se sont très sensiblement accrues. Pour parler le langage positif de