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ser, auront une explication que l’on pourra discuter sans doute, mais qui restera conforme à l’essence de l’instinct, aux lois de la sensation, bref à la nature psychologique de l’animal.

La solution que nous venons de hasarder se rencontre à chaque page dans l’ouvrage de M. Darwin ; nous n’avons eu qu’à la lui emprunter. Il l’eût assurément choisie et adoptée, si son siège n’avait été fait depuis longtemps. Il l’eût d’autant plus volontiers accueillie qu’il a parfaitement mesuré la puissance du sens qu’on a nommé le sens animal par excellence, l’odorat. Ce sens agit dans l’appariage avec une énergie prodigieuse. Il y en a des exemples extraordinaires. Le naturaliste Scarpa assure que si, après avoir manié des grenouilles ou des crapauds femelles, on plonge la main dans l’eau, les mâles qui s’y trouvent accourent aussitôt même de très loin. Sans que j’insiste, on devine quelle part un organe aussi subtil doit avoir dans les attractions que M. Darwin attribue au sentiment de la beauté. Joignez les excitations de l’odorat à celles des yeux et de l’oreille, et voyez s’il y a lieu de chercher d’autres causes aux phénomènes qu’on a accumulés avec tant de complaisance. C’était avant tout la sensation qu’il était essentiel d’étudier chez l’animal. Il y avait là un champ à peine exploré d’observations innombrables et pleines d’enseignemens. En commençant par là l’étude de la psychologie comparée, on eût fait faire à cette science si nouvelle et si nécessaire d’admirables progrès.

M. H. Joly fa essayé et y a réussi pour une part déjà digne d’éloges. Quant à M. Ch. Darwin, on ne saurait dire sans injustice qu’il ne l’a pas voulu ; mais le pouvait-il? Son adhésion absolue au principe de l’évolution, son idée préconçue et systématique que l’homme descend de l’animal, le condamnaient à violer les règles les plus élémentaires de la méthode. Il oublie que l’homme connaît mieux sa propre nature mentale que celle des animaux, que par conséquent ce sont les facultés de l’âme humaine qu’il importe d’abord d’analyser. Pressé par le désir de retrouver nos ancêtres dans la sphère de l’animalité, il grossit à plaisir les ressemblances et il atténue les différences essentielles jusqu’à les effacer. Cette dangereuse habitude d’esprit est manifeste une fois de plus dans son ouvrage, d’ailleurs si ingénieux, sur l’Expression des sentimens chez l’homme et chez les animaux. Ici encore les nuages abondent, les phénomènes et les facultés de la vie mentale sont mêlés et confondus. On y cherche vainement une distinction psychologique quelconque entre la sensation sous ses diverses formes d’une part, et le sentiment sous ses aspects si variés de l’autre. Il n’est pas surprenant qu’avec des procédés d’analyse aussi peu rigoureux on n’ait pas réussi à mettre hors de contestation l’existence chez les bêtes du