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d’égalité. » Toute la vieille censure du luxe était comme enfermée là en quelques lignes.

Cette éternelle question du luxe, que chaque siècle, en la reprenant à son compte, marque de son empreinte particulière, se ranimait aussi sous d’autres formes, dans des livres, dans des opuscules éphémères et dans la presse, où, prenant une couleur politique, elle servait de prétexte à des éloges et à des critiques du gouvernement. Que d’apologies optimistes et de pamphlets ! Au point de vue économique ou moral, que de thèses contradictoires ! Quel choc d’argumens qui s’entre-croisaient, rarement nouveaux, mais ravivés par l’à-propos ! Comme il était facile de voir par certains panégyriques à outrance que le Mondain de Voltaire a laissé une postérité nombreuse de disciples, moins modérés que le maître ! Heureuse confiance d’écrivains qui prenaient bravement parti pour un luxe d’une valeur morale des plus contestables ! Ils tiennent pour excellent que le riche dépense beaucoup, n’importe comment, pourvu que ses fantaisies coûteuses fassent aller le commerce et circuler l’argent. Il est fâcheux que notre temps ne permette pas une telle quiétude et exige des riches un mérite plus sérieux, plus efficace. Les gouvernemens despotiques s’arrangent assez bien de ces théories, d’autant plus qu’elles ont la prétention de s’appliquer aux dépenses publiques comme aux dépenses privées ; les sociétés libres les goûtent peu. Est-ce à dire que les censures qui s’adressent à la société, et qui continuent à se faire entendre, dans la pensée peut-être trop fondée que nous nous sommes peu corrigés, soient elles-mêmes à l’abri de la critique ? Nous pouvons énoncer nos doutes sans qu’on se méprenne sur notre but. On n’est guère en effet tenté d’être indulgent quand on songe qu’il faut jusqu’à certain point rendre responsables de nos désastres les progrès d’un amollissement égoïste et d’une recherche trop exclusive des jouissances sensuelles. L’excès de sévérité serait préférable ; mais cette sévérité même ne saurait se passer de discernement. Nous craignons que la censure morale, dans les conditions où elle continue à s’exercer, n’en manque un peu, et que les règles mêmes qu’elle invoque ne soient sur quelques points à critiquer ou à modifier. Lorsqu’elle n’est qu’un écho affaibli des grandes voix de Lhospital et de Daguesseau, tient-elle suffisamment compte des élémens nouveaux de la société moderne ? C’est ce que nous voudrions rechercher, sans cesser de lui faire sa part, et en nous demandant ce qu’elle a de fondé dans ses applications aux mœurs du temps.