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de sa composition. — Le texte de saint Luc, XI, 27 : « heureuses les entrailles qui vous ont porté, » est commenté par un tableau que nul ne désavouerait. Jésus a parlé, les disciples, les curieux sont autour de lui ; il va, les pieds chaussés de sandales, vêtu de la robe sans couture que l’on doit jouer aux dés, et il se retourne, lumineux et doux, vers la femme qui, portant son enfant sur un bras, glorifié par un geste très sage et très noble celui qui vient de dire : « Frappez, et l’on vous ouvrira ! » La Madeleine (saint Luc, VII) agenouillée, essuyant de ses longs cheveux les pieds qu’elle a baignés de parfums, est dans une pose qui accuse l’adoration et non point l’humilité. M. Bida semble du reste n’avoir touché à la Madeleine qu’avec une réserve extrême. Elle ne disparaît pas, mais elle se perd un peu dans le groupe des disciples et des saintes femmes. Elle a cependant une importance toute particulière, toute spéciale : dans le grand rayonnement divin, elle a son rayon à elle ; les peuples catholiques ne s’y sont point trompés, ils l’ont en quelque sorte adoptée et lui ont réservé la meilleure place. Ce n’est que justice, car elle ne quittait guère le Christ ; saint Luc (VIII, 1, 2, 3) est très affirmatif : « Ensuite Jésus allait par les villes et par les bourgades, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu, et les douze étaient avec lui, et de même quelques femmes qui avaient été délivrées d’esprits malins ou de maladies : Marie, appelée Madeleine, de laquelle sept démons étaient sortis, et Jeanne, femme de Chuza, intendant d’Hérode, et Suzanne et plusieurs autres qui l’assistaient de leurs biens. »

M. Bida a choisi la Cène selon saint Matthieu, et il l’a rendue d’une façon magistrale ; certes c’était son droit de prendre parmi les récits des quatre évangélistes celui qui lui convenait, mais je regrette qu’il ne se soit pas inspiré de la Cène selon saint Marc ; celle-là seule en effet contient un détail fort important, et qui peut aider à comprendre le rôle odieux de Judas. « Comme ils étaient à table et mangeaient, Jésus leur dit : En vérité je vous le dis, un de vous qui mange avec moi me trahira. Ils commencèrent à s’affliger et à lui demander chacun en particulier : Est-ce moi ? Il leur dit : Un des douze, celui qui met la main au plat avec moi. » Or, dans les usages d’Orient, mettre la main au plat en même temps que le maître, c’est se déclarer son égal ; c’est faire acte de compétition. Judas était un homme fort positif, il tenait la bourse, était chargé des dépenses : il maugréa lorsque Madeleine versa des parfums sur les pieds de Jésus. J’ai lu dans un vieux livre où l’on traite toute sorte de questions de cabale, de magie et d’astrologie, une légende qui jette quelque jour sur le caractère de celui que l’on maudit encore. Jésus, Pierre et Judas sont en route dans la Perrée ; la chaleur est accablante, la fatigue excessive. Tous les trois,