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pauvre, avec moi vous souperez. » Lorsque le repas est fini, il demande à dormir. « Ah ! montez, montez, bon pauvre, un lit frais vous trouverez. » Comme ils montaient les degrés, trois anges les éclairaient. « Ah ! n’ayez pas peur, madame, c’est la lune qui paraît. » Puis Jésus, éclatant de lumière, promet à la femme bienfaisante qu’avant trois jours elle sera en paradis, « mais que son mari en enfer ira brûler ! »

Le sinite parvulos ad me venire, où les différentes écoles de peinture se sont si fréquemment inspirées, laissait peu de place à une interprétation nouvelle ; M. Bida a réussi cependant à vivifier ce sujet épuisé. Les peintres l’ont toujours traité avec une certaine emphase ; ordinairement Jésus est assis, et il permet à des enfans, fort troublés par sa majesté divine, de s’approcher de lui. M. Bida a fait le contraire ; le Christ s’approche des mères et des enfans ; il en a pris un, il le porte, et le petit, tout apprivoisé par cette bonté qui l’enveloppe comme une caresse, a passé son bras frêle autour du cou de Jésus ; un autre, presque un nourrisson encore, au béguin détaché, à la mine rebondie, tend la main vers le Dieu qui souhaite aux hommes d’être aussi simples et aussi purs que ces innocens. Parfois c’est une scène de mœurs prise sur le vif : le Christ n’y paraît pas, mais l’Orient s’y révèle. Au moment où Jésus va rentrer à Jérusalem pour accomplir le dernier sacrifice, il dit à ses disciples : « Allez au village qui est devant vous, vous y trouverez une ânesse attachée et son ânon avec elle ; déliez-les et amenez-les-moi. » (Saint Matthieu, XXI, 2. ) Le soleil frappe d’aplomb sur la muraille ; l’ombre est perpendiculaire aux objets, il est midi : un petit escalier de pierre aboutit à la porte de la maison ; quelques maigres herbes rasent le sol. Deux des disciples, vêtus de l’ample kabayeh, la tête tout enveloppée du turban de couleur sombre que les coptes, — les premiers chrétiens d’Égypte, — ont gardé par respect pour la tradition, détachent l’ânesse et l’ânon. A une fenêtre, un vieillard regarde ; le propriétaire demande pourquoi l’on emmène ces animaux, et, selon l’ordre du maître, un des disciples répond : « Le Seigneur en a besoin. » Certes c’est là un motif bien pauvre, et l’on n’y découvre guère matière à tableau ; mais il est impossible de voir cette estampe sans se rappeler certains aspects de Djénin, de Naplouse, de Djébaël, sans retrouver un reflet de la lumière orientale, sans reconnaître l’attitude à la fois naturelle et très noble de ces hommes qui marchent avec tant de dignité dans leurs vêtemens flottans.

Le Retour d’Égypte est encore une fête de lumière ; on voit que l’artiste a longtemps vécu sur les bords du Nil, et qu’il a dérobé le secret des clartés nacrées dont le ciel resplendit. On est à travers champs, parmi les blés murs ; les hauts épis cachent à moitié les