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femme, dont le costume rappelle celui que des ordres monastiques féminins ont emprunté à l’Orient, soutient de sa main étendue le front de l’enfant pendant qu’une servante agenouillée prépare le berceau vacillant, sorte de nacelle où commence la longue navigation de la vie. Tous les personnages concourent à l’action commune, et l’enfant, — le moins important de tous à certains égards, — est réellement la figure principale et le centre même de la composition, qu’il éclaire et qu’il explique. Si l’on y regarde de près, on verra que ce résultat est dû à l’habileté de l’artiste, car toutes les lignes, — ce que l’on nomme techniquement les lignes de rappel et dont Raphaël a fait un si admirable usage dans la Transfiguration, — conduisent forcément l’attention du spectateur vers cette jeune fleur humaine qui vient de s’épanouir au jour.

Une recommandation de Jésus à ses disciples sert de motif à une scène d’intérieur fort adroitement combinée, et qui par le jeu des ombres et des lumières remet en mémoire certains effets de Rembrandt. « Et, en entrant dans la maison, saluez-la et dites : La paix soit sur cette maison. » (Saint Matthieu, X, 14. ) La chambre est dans l’ombre, dans cette demi-obscurité si précieuse aux pays d’Orient, où le soleil est implacable ; c’est l’heure du repas, la famille est réunie près de la table en bois grossièrement équarri, les enfans attentifs se groupent autour de leur mère. Une servante au type nègre, venue sans doute des rives du Nil-Blanc, le front couvert du bonnet revêtu de piastres, porte à deux mains un plat de métal ; une femme, soutenant dans ses bras un bambino que le sommeil réclame, gravit le petit escalier qui monte aux appartemens supérieurs. On a frappé à la porte, le maître de la maison s’est empressé, il ouvre et sourit en donnant la bienvenue à l’étranger, qui est le Christ entrant au milieu d’un rayon de lumière. Çà et là sur le sol, les ustensiles du ménage sont répandus ; Jésus lève une main bénissante, et le soleil pénètre en même temps que lui, comme une bénédiction, dans cette demeure hospitalière. C’est là un sujet charmant que l’art avait bien rarement utilisé, quoique la poésie du moyen âge l’ait souvent traduit. Dans les fabliaux, dans les vieux contes, on voit constamment l’appel à la charité se déguiser sous cette forme ; la légende était populaire, on la retrouve partout. Un pauvre heurte à la porte et demande l’aumône, il est accueilli ou repoussé ; il se transfigure, c’est le Christ lui-même. Une vieille chanson que l’on chante encore dans les provinces du centre de la France semble avoir traversé le souvenir de M. Bida, et lui avoir inspiré le dessin de Paix à la maison : un mendiant supplie qu’on le laisse recueillir les miettes de la table, on les lui refuse ; elles sont réservées aux chiens qui rapportent les lièvres, tandis que lui il ne rapporte rien. Il aperçoit la dame du logis à sa fenêtre, il l’implore. « Ah ! montez, montez, bon