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en effet dans ίΧΦύς la lettre initiale de chacun des cinq mots formant la phrase : Ιησοΰς Χριστός Θεοΰ ύίς σωτήρ, Jésus-Christ, de Dieu fils, sauveur. À force de vouloir raffiner, on devenait inintelligible, ou peu s’en faut. Ce fut le concile quinisexte, tenu à Constantinople en 692, qui mit fin à toutes ces allégories, dont l’église s’inquiétait, car elle savait où les Égyptiens en étaient arrivés avec une religion que le symbolisme, poussé à l’excès, avait envahie et déconsidérée. « Nous ordonnons qu’à l’avenir le Christ, notre Dieu, soit représenté sous forme humaine… Christi Dei nostri humana forma characterem etiam in imaginibus deinceps,… erigi ac depingi jubemus. » Dès lors on se mit à l’œuvre, et l’on tenta de faire le portrait de celui qu’il s’agissait de montrer sous figure mortelle. Ce qui domine dans les primitifs grecs, italiens, allemands, c’est la tristesse, et parfois ces maîtres incorrects sont parvenus à donner à leurs œuvres une naïveté d’expression poignante. Dans leur besoin d’universaliser le Christ et de faire absorber par sa divinité toutes celles que le monde païen avait adorées, ils l’ont affublé des attributs d’Apollon, ils lui ont mis en main les carreaux de Jupiter, et parfois même, comme dans la vieille église de Torcello, ils en ont fait un Pluton farouche, dominateur de l’enfer, maître du jugement suprême et assis sur un trône entre les pieds duquel les âmes passent emportées par un torrent de feu.

La figure alla s’épurant, rejetant, au fur et à mesure qu’on se dégageait des ténèbres du moyen âge, tous les élémens inutiles, souvent hétérodoxes, parfois grotesques, dont on l’avait embarrassée, et elle arriva ainsi à sortir presque pure des mains de Masaccio au moment où Jean Bellini allait donner la plus admirable image de la vierge Marie que l’on possède. Quand la renaissance arriva, tous les efforts accomplis furent perdus. Au sentiment, qu’avaient cherché et si souvent trouvé les naïfs, on substitua la sensation, d’où nous ne sommes pas encore sortis. On retomba d’un coup au paganisme : l’antiquité, si longtemps dédaignée, apparut comme une époque merveilleuse qu’on ne saurait imiter trop servilement ; on ne vit plus la nature qu’à travers les fragmens de sculpture retrouvés. L’admiration fut sans borne et sans mesure : des prêtres faisaient lire leur bréviaire par des domestiques, afin de ne pas gâter leur latinité, et le plus grand artiste se proclamait orgueilleusement « l’élève du Torse. » La tradition de l’art chrétien s’arrête, elle se brise ; elle fait volte-face, retourne en arrière, se replonge aux sources du panthéisme, et introduit l’antiquité païenne dans l’histoire plastique de celui qui a mis fin à l’antiquité, qui a ouvert les temps modernes et jeté le paganisme au tombeau. — De ce jour, toute interprétation iconographique des saintes Écritures sera faussée.