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cependant ces qualités de coloriste que le crayon sait faire valoir tout aussi bien que le pinceau. On prit le parti de s’adresser à M. Alexandre Bida.

M. Bida est un lettré, ce qui est indispensable à tout artiste qui respecte son art ; mûri par de fortes études, ayant plusieurs fois et longuement visité l’Orient, il s’était imprégné de d’esprit de ces contrées immobiles où la tradition du passé semble constituer les conditions mêmes de l’existence. On a pu, dans nos différentes expositions, admirer ses dessins à la fois sobres et grandioses, réels sans réalisme, où la simplicité des procédés s’élève à la hauteur des compositions historiques les plus importantes. M. Bida ne se fit aucune illusion sur la gravité de la tâche qu’on lui proposait, il comprit que le labeur serait considérable ; il accepta néanmoins l’offre qu’on lui faisait, et se promit de s’y consacrer tout entier : il s’est tenu parole et y a passé dix ans. Quoiqu’il connût bien la Palestine, il y voulut retourner, et cette fois avec un but défini. Les Évangiles à la main, il reprit pas à pas l’itinéraire du Christ ; il alla dans la Pentapole, — à Jérusalem, à Hébron, à Tabarieh, à Safeth, à Damas, — vivre parmi les Juifs, qui sont restés aujourd’hui ce qu’ils étaient au temps où la bonne nouvelle leur fut inutilement annoncée. Partout où il mettait le pied, il retrouvait une explication des livres saints ; il regardait, comparait, dessinait. La quantité d’études qu’il a rapportées est incalculable et formerait au besoin une très curieuse histoire ethnographique des pays bibliques. Un voyage en terre-sainte est le plus éloquent commentaire des Écritures qui se puisse imaginer : le livre et le paysage s’expliquent, se complètent l’un par l’autre. La nature y est implacable comme l’homme le fut souvent. Le temps a passé, les dominations se sont succédé, mais ni l’un ni les autres n’ont pu effacer certains souvenirs si lointains qu’ils appartiennent plutôt à la légende qu’à l’histoire. La femme qui cacha et sauva les espions que Josueh avait envoyés à Jéricho, et qui attacha le ruban d’écarlate à sa fenêtre, s’appelait Riha ; c’est le nom que Jéricho porte encore aujourd’hui. Dans certains endroits, toutes les fables se mêlent ; au milieu de la petite rade de Jaffa, d’où partit l’arche de Noé, l’on peut voir le rocher où fut enchaînée Andromède. Le cœur du monde a battu dans cet étroit coin de terre, et la littérature juive a marqué l’humanité d’une empreinte qui n’est pas près de s’effacer. Comme la femme de Loth, que des Arabes m’ont montrée sur les bords de la Mer-Morte, dans le Djébël-Hauran, l’histoire semble s’être pétrifiée sous le soleil éclatant, parmi les rochers volcaniques. Si on l’interroge, elle peut répondre : elle a oublié, dirait-on, tout ce qui s’est passé depuis l’an 70, depuis que Titus, incendiant le temple, brisant l’arche, a dispersé du même coup les membres des