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essayé pour tenter un public qui trouve dans son journal la nourriture quotidienne dont se contentent ses besoins intellectuels ? De là, de cette nécessité entretenue par la concurrence, est née cette quantité prodigieuse de volumes parmi lesquels on ne trouverait pas ce que les bibliophiles appellent un livre.

Les artistes et les ouvriers ne font cependant pas absolument défaut ; nous avons des dessinateurs, des graveurs, des fondeurs de caractères, des imprimeurs, des fabricans de papier ; ils ne demandent pas mieux que d’utiliser, que de combiner leurs talens pour produire une œuvre hors ligne qui puisse rivaliser avec celles que les ancêtres nous ont léguées ; mais les éditeurs éclairés qui travaillent « par amour de l’art » ne sont point communs. Le fait s’est pourtant rencontré pour l’honneur de la librairie française, et il faut le signaler, car le temps et l’argent n’ont pas été épargnés. Plus de douze années et plus d’un million ont été consacrés à élever ce monument typographique et pittoresque. Il appartenait à la maison Hachette, qui a publié tant de beaux livres et fait tant d’efforts en faveur de l’enseignement public, de donner un tel exemple. On dirait qu’elle a pris plaisir à accumuler, pour les vaincre, toutes les difficultés que peuvent offrir la gravure, à l’eau-forte, la gravure en taille-douce et la typographie. À force de soins et de persévérance, elle a obtenu un chef-d’œuvre qui affirmera qu’en matière de librairie le XIXe siècle pourrait, s’il le voulait, être l’égal de ses aînés.


I

Les éditeurs ont dû se trouver assez embarrassés lorsqu’il s’est agi de déterminer le texte des Saints Évangiles que l’on imprimerait. Il en fallait un dont l’orthodoxie fût indiscutable et qui offrît aux âmes pieuses une sécurité absolue. Les traductions des Évangiles ne manquent pas ; depuis la réforme, les catholiques et les protestans de toute secte en ont fait à l’envi ; mais nul n’ignore qu’il suffit d’un mot enlevé ou ajouté pour modifier profondément et dans l’essence même la signification symbolique ou réelle des versets. Il était donc nécessaire de rejeter tout alliage et de n’accepter que l’or pur de la doctrine. On s’est adressé au père de l’église gallicane, à celui dont la voix retentit encore et dont l’influence domine les événemens qui ont atteint le catholicisme : à Bossuet. Quoiqu’il ait été chargé par M. de Péréfixe, archevêque de Paris, de revoir l’édition janséniste du Nouveau testament, il n’a pas fait de traduction proprement dite des Évangiles ; mais pour les besoins de la cause qu’il soutenait, pour ses sermons, pour ses oraisons funèbres, il eut à