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caractéristiques de l’instinct. La science la plus récente les proclame comme eux, et M. Darwin n’a pas démontré que ce fussent là autant d’erreurs. Si par des analyses et des comparaisons psychologiques plus sérieuses il s’était convaincu que cette façon de comprendre l’instinct est la seule vraie, il aurait vu qu’en présence du beau l’animal reste ce qu’il est, je veux dire un être qui ne s’intéresse qu’à ce qui est particulier. Cette simple remarque eût éclairé et peut-être profondément modifié sa théorie des facultés mentales chez les animaux. A ceux-ci, le zoologiste anglais prête le sentiment de l’admiration. Je sais qu’il leur refuse la capacité d’admirer de grandes scènes, comme une nuit étoilée, un beau paysage, une musique savante; mais il tient pour certain que beaucoup d’animaux inférieurs admirent les mêmes sons et les mêmes couleurs que nous. Même réduit à ces termes, son système ne nous paraît pas soutenable. S’il était exact, l’animal goûterait non-seulement les mêmes chants et les mêmes nuances de coloration que l’homme, mais il les aimerait, il en jouirait partout et toujours, il aurait la faculté d’en jouir généralement. La femelle du pinson par exemple, qui sur cent mâles sait choisir, dit-on, le meilleur musicien, se montrerait sensible au chant des autres oiseaux, à celui de l’homme, à la musique d’un bon violon. On objectera l’araignée et le lézard, qui semblent céder à la douceur des mélodies, et le cheval, auquel la musique du régiment communique une ardeur guerrière. Cependant, outre qu’on ne sait pas si ces animaux éprouvent autre chose qu’un chatouillement nerveux ou une excitation purement physique, il est bien permis de rappeler les hurlemens lamentables que certains sons, même musicaux, arrachent à nos chiens. Un point d’ailleurs très important, c’est que l’animal ne se laisse vraiment aller aux séductions vocales déployées par ses semblables qu’à l’époque de l’appariage, c’est-à-dire à un moment précis et particulier de l’année.

L’attention que les bêtes accordent aux couleurs donne lieu aux mêmes réflexions. A ne parler que des oiseaux, qui sont, d’après M. Darwin, aussi bons juges de la couleur et de l’ornement que les femmes élégantes et les habiles modistes, combien cette faculté est limitée chez eux! Voit-on, par exemple, que les paons mâles s’admirent réciproquement comme le font à l’occasion les hommes? Voit-on que les femelles se contemplent l’une l’autre avec plaisir et poussent l’impartialité jusqu’à rendre justice à la beauté de leurs rivales? A-t-on jamais rencontré une oie en extase devant la splendeur des faisans ou la royale élégance des cygnes? Non; l’oiseau, l’insecte, le quadrupède ne sont touchés de l’éclat de la couleur, s’ils le sont, que dans leur espèce, de la part d’un seul sexe et au