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de nouvelles créations administratives et judiciaires, ils demeuraient le plus ferme rempart contre l’autorité des seigneurs, contre cette seconde féodalité née de l’institution des grands apanages. « Ces magistrats ; écrit M. A. Bardoux dans une savante étude sur le bailli Jean de Doyat, non-seulement avaient soumis à la couronne, par l’emploi des appels, les juridictions seigneuriales, ils avaient encore donné au roi l’interprétation des coutumes et la souveraineté des jugemens. A l’aide des lettres de chancellerie, ils avaient attiré dans leur compétence toutes les questions de rescision et d’exécution des contrats, et dès la fin du XIVe siècle fait prévaloir le principe que la justice était l’attribut de la couronne et non du fief. » Par leur persévérance, les baillis arrivèrent pour la plupart, comme Jean de Doyat, bailli de Cusset et de Montferrand, à forcer le seigneur sur ses propres terres à faire une large part à la souveraineté du roi. Ils imposèrent au nom de celui-ci des règlemens et des défenses, et malgré les prétentions obstinées des seigneurs hauts-justiciers, le mauvais vouloir des juges seigneuriaux, qui cherchaient par tous les moyens à entraver l’exercice des nouveaux droits de la couronne, graduellement ils accomplirent leur rude tâche. Il leur fallut pour cela bien souvent des pouvoirs extraordinaires et déployer autant d’audace que d’énergie. Aux XVe et XVIe siècles, on voit plusieurs fois les baillis et les sénéchaux investis dans leur province d’un véritable commandement militaire ; ils veillaient à ce que les seigneurs entretinssent garnison dans leurs châteaux pour résister à toute attaque des ennemis, et ils s’appuyèrent de cette attribution pour faire occuper par les troupes royales les forteresses dont le roi voulait enlever aux seigneurs la disposition et la garde, pour faire raser celles qui ne pouvaient être suffisamment défendues.

Un tel pouvoir laissé aux officiers royaux ouvrait la porte à des abus, à des usurpations analogues à celles que l’on voulait faire cesser. Les baillis, les prévôts, pouvaient à leur tour se constituer en petits souverains et recommencer ce qu’avaient fait jadis les comtes et leurs officiers. Déjà saint Louis, frappé de ce danger, avait institué des enquêteurs ou commissaires qu’il choisissait surtout dans le clergé, et qu’il envoyait dans les provinces pour réparer les injustices et les dommages dont les habitans avaient à se plaindre du fait de ses officiers. Les enquêteurs jugeaient sommairement les réclamations qui leur étaient déférées. Sous Philippe le Bel, ces prétendus redresseurs de torts étaient devenus un fléau pour les sujets ; ils extorquaient de l’argent et commettaient une foule d’actes arbitraires. Le parlement, qui avait réclamé la faculté de se faire rendre compte par les enquêteurs de la mission à eux confiée, se chargea plus tard de faire procéder à des enquêtes sur les abus de