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révoquer, même si on faisait la paix. M. de Bismarck faisait dépendre tout de « l’état des esprits » et de nos « procédés ; » c’était beaucoup demander et s’engager peu. Évidemment, si dans une population de 2 millions d’âmes il avait pu y avoir de la sagesse, de la prévoyance et même un certain tact, on aurait compris qu’il fallait éviter de fournir des prétextes ; mais on vivait à un moment où l’amertume de la défaite n’était pas une conseillère de modération et où le plus simple ménagement passait pour une trahison. Il y avait à Paris, comme à Bordeaux et à Marseille, d’étranges patriotes qui se figuraient qu’après avoir rendu les armes il n’y avait rien de mieux que de parler encore de la « lutte à outrance, » de continuer une guerre d’injures et de polémiques violentes. Les Allemands étaient dans nos forts, ils pouvaient nous foudroyer, s’ils voulaient, arrêter à chaque instant les ravitaillemens de la ville, et on les défiait, on les menaçait, on leur disait qu’ils n’oseraient pas mettre le pied dans Paris. « Les barbares s’arrêtent aux portes de la ville sainte, » écrivait-on dans des proclamations affichées sur tous les murs. Il en résultait que, lorsque M. Thiers et M. Jules Favre allaient à Versailles pour négocier la paix, M. de Bismarck leur disait avec un certain ressentiment, peut-être calculé : « Vous voulez que nous arrêtions notre armée devant les portes de Paris quand on nous brave ainsi ! » M. Thiers avait beau épuiser son énergie et son éloquence pour sauver la grande ville jusqu’au bout, il n’obtenait rien. On lui offrait, il est vrai, de ne pas entrer dans Paris, s’il voulait céder Belfort. « Non, non, s’écriait-il de l’accent d’un patriotisme douloureux et résigné, plutôt que de perdre notre frontière, j’aime mieux toutes les humiliations qu’il vous plaira de nous infliger ; entrez, si vous le voulez, mais je garde Belfort. » Paris avait failli payer de la famine les violences de M. Gambetta, maintenant il payait d’une occupation étrangère les folies de ses agitateurs, mais l’épreuve pour lui se trouvait du moins adoucie par cette pensée que le sacrifice de son inviolabilité servait à racheter Belfort.

L’entrée des Prussiens se liait aux préliminaires de paix signés le 24 février à Versailles. Ce n’est pas cependant par ces préliminaires qu’elle était consentie et réglée. Elle était une condition du renouvellement de l’armistice, qu’on avait dû prolonger du 19 jusqu’au 26 février, puis jusqu’au 12 mars, pour laisser à l’assemblée de Bordeaux le temps de se prononcer sur la paix qu’on venait de signer. Seulement il était entendu que l’occupation cessait par le fait même de la ratification des préliminaires. Ainsi cette occupation se trouvait limitée entre le jour où l’on avait signé le renouvellement de l’armistice et une date que l’assemblée pouvait rapprocher beaucoup. De plus on avait fait ce qu’on avait pu pour la circonscrire et l’atténuer.