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de ce qui survivait d’autorité, par l’émigration de tous ceux qui, à la première issue entr’ouverte, avaient hâte de quitter ce foyer d’incandescence et de misère, par l’anarchie de cette masse de garde nationale abandonnée à elle-même, prompte à devenir une armée de fronde et de sédition aux mains de vulgaires meneurs. L’esprit qui était apparu au 31 octobre, au 22 janvier, dans la nuit du 27 au 28 janvier, et qui avait été vaincu par le sentiment patriotique, cet esprit prenait maintenant sa revanche, déjouant toute répression, se servant de tout, des souffrances qu’on endurait encore, des habitudes de désordre qui s’étaient si étrangement développées, des anxiétés publiques entretenues par l’incertitude du lendemain. A partir d’un certain moment, dans ce mois de février 1871, cette désorganisation se traduisait sous toutes les formes, par des manifestations et des violences de toute sorte. On saisissait l’occasion de l’anniversaire de la révolution de 1848, le 24 février, pour commencer des processions bruyantes de gardes nationaux obéissant à un mot d’ordre occulte. Au sommet de la colonne de la Bastille apparaissait pour la première fois et allait se fixer le drapeau rouge couvrant une scène hideuse de meurtre où un malheureux agent de police était l’objet d’un acte de férocité populaire, le seul qui se fût produit jusque-là. Paris présentait un spectacle unique, redoutable, d’autant plus périlleux que, pour remettre un peu d’ordre dans ce chaos, il n’y avait qu’un gouvernement nouveau qui se formait au loin, à Bordeaux, sous la présidence de M. Thiers, qui avait à négocier, à désarmer l’ennemi extérieur, s’il le pouvait, avant de se tourner vers la sédition. On en était là, et c’est sur une ville ainsi faite que pesait encore une question suprême, qui se liait à la question plus générale de la paix ou de la guerre traitée en ce moment à Versailles, dont la solution pouvait être pour la défense un dernier honneur ou un dernier et inévitable deuil. Le dénoûment du siège serait-il une occupation étrangère ? échapperait-on définitivement par la paix à cette cuisante humiliation ?

Elle était restée en suspens, cette malheureuse question. M. Jules Favre avait réussi à sauver Paris d’une occupation allemande pendant l’armistice ; c’était tout ce qu’il avait pu faire, et au moment où il avait fini par se résigner à cette transaction qui ne décidait rien, M. de Bismarck ne le lui avait pas caché : « Je ne puis vous assurer, lui avait-il dit, que, si nous concluons la paix, cette clause sera reproduite. Cela dépendra de l’état des esprits et de vos procédés. J’espère que vous nous aiderez à la rendre définitive. » On avait eu le tort de présenter d’une manière un peu trop absolue ce qui n’était qu’une concession momentanée qui aurait naturellement cessé avec l’armistice, et que les Allemands s’étaient réservé de