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Bismarck se hâtait de protester publiquement « au nom de la liberté des élections stipulées par la convention du 28 janvier, » tandis que d’un autre côté il mettait le gouvernement de Paris en demeure de faire exécuter l’armistice. Il ne suffisait pas que nous fussions vaincus, il fallait encore qu’on nous exposât à être rappelés par le vainqueur au respect de la liberté des élections, de notre propre souveraineté nationale ! Ce n’est pas tout : M. Gambetta mettait le gouvernement de Paris dans la situation la plus fausse et la plus cruelle. Si ce gouvernement avait la faiblesse de souscrire au décret électoral de Bordeaux, c’était l’armistice rompu, Paris livré à l’ennemi, peut-être à la famine. S’il insistait, s’il imposait le décret qu’il avait lui-même rendu et qui maintenait la liberté des élections, il paraissait agir de connivence avec M. de Bismarck ; on le déshonorait, on achevait de ruiner le peu d’autorité morale qui lui restait aux yeux de la population parisienne. M. Gambetta donnait des armes, des prétextes, des encouragemens à tous les agitateurs.

Suprême misère enfin : tous ces incidens, ces proclamations, ces appels à la guerre, ces décrets de colère venus de Bordeaux irritaient profondément les Prussiens, qui menaçaient de considérer l’armistice comme rompu, d’arrêter le ravitaillement, et par le fait la marche des convois d’approvisionnement se trouva un instant suspendue. C’était justement à l’heure de la plus extrême détresse, lorsqu’on n’avait plus de pain pour le lendemain. Ainsi, par ses jactances, par ses fureurs imprévoyantes, M. Gambetta exposait Paris à être affamé. Il déclamait de loin et au sein de l’abondance contre les Allemands, — les Allemands avaient la clé des vivres pour nous et pouvaient fermer les portes. C’est là en définitive ce qui s’agitait dans ce conflit dont l’arrivée de M. Jules Simon à Bordeaux devenait le signal, où se jouaient la sécurité et la vie de Paris, peut-être les destinées de la France.

Dès l’arrivée de M. Jules Simon, dès le 1er février, la lutte avait éclaté, et à partir de ce moment jusqu’au 6, pendant ces quatre ou cinq jours, elle se déroulait au milieu de toutes les péripéties, violente, aiguë, tenant la ville de Bordeaux agitée, la France indécise. M. Jules Simon se trouvait certes dans une position difficile. Il venait avec les pleins pouvoirs d’un gouvernement assiégé depuis cinq mois et avec la mission de faire respecter les décisions de ce gouvernement, de réprimer toute imprudence ou toute résistance ; il rencontrait une sorte d’insurrection presque déclarée, une délégation à demi engagée dans une voie de révolte. On le traitait en ennemi, on contestait ses pouvoirs, on lui déclarait qu’on n’obéirait pas au décret électoral de Paris, qu’on maintiendrait le décret de Bordeaux. Pendant plusieurs jours, M. Gambetta s’obstinait dans