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exceptée. M. Jules Favre, quant à lui, n’avait pas de ces préoccupations. Agité d’un trouble assez naturel dans un pareil moment, dévoré d’un sentiment d’amertume qu’il était obligé de contenir, il ne voyait qu’une chose, Paris sauvé de la faim, et sous le regard, sous le bon plaisir du vainqueur, il écrivait le malencontreux télégramme de la même plume dont il venait de signer l’acte qui mettait fin à la défense nationale. Il avait accompli seul le sacrifice jusqu’au bout en vouant son nom à la plus inévitable et la plus poignante des humiliations.


III

Ce n’était pas tout d’avoir signé cependant ; il restait à savoir comment l’armistice allait être accueilli en province, et d’abord comment il serait reçu à Paris même. A vrai dire, on y était un peu préparé dans Paris. Dès le 27, le gouvernement avait pris le parti d’avouer, par une déclaration officielle, qu’on négociait, et par le fait les hostilités avaient été suspendues dans la soirée du 26. Ce jour-là, au moment où M. Jules Favre allait quitter Versailles, M. de Bismarck avait dit vivement au ministre français : « Je ne crois pas qu’au point où nous en sommes une rupture soit possible ; si vous y consentez, nous ferons cesser le feu ce soir. » M. Jules Favre, déjà tourmenté de cette idée que le sang coulait inutilement pendant la négociation, s’était hâté d’accepter. « Eh bien ! avait repris le chancelier, il est entendu que nous donnerons des ordres pour que le feu cesse à minuit. » Et en effet, à peine rentré à Paris, M. Jules Favre avait couru à l’état-major. Ne trouvant pas le général Vinoy, il avait pris sur lui d’expédier partout l’ordre de la suspension du feu, et à minuit, pour la première fois depuis près de cinq mois, le bruit du canon s’était soudainement éteint sur toutes les lignes, pour faire place à un silence lugubre dont la note officielle du lendemain disait le secret. L’armistice ne pouvait donc plus être une surprise ; seulement la dernière difficulté était de divulguer les conditions, puis de les exécuter.

Au fond, la population parisienne, sans appeler la fin de la résistance, trouvait évidemment dans son malheur une compensation : elle sentait qu’un armistice allait lui donner du pain et la liberté de renouer avec la France. L’émotion n’était pas moins universelle et profonde, mêlée de stupeur chez les uns, violente chez les autres, et au premier bruit de la négociation ouverte à Versailles, sans attendre le dénoûment, une sorte d’agitation s’était organisée pour s’opposer à toute suspension d’armes, pour reprendre cette lutte à outrance que le gouvernement abandonnait. Des chefs de bataillon