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supprimé d’un seul coup bien d’autres difficultés pratiques dont on avait jusque-là détourné les regards, qui tenaient à cette situation sans exemple où l’on se trouvait conduit par une impitoyable fatalité.

On sentait qu’il n’y avait plus désormais une heure à perdre. Une négociation était nécessaire, elle devenait moins impossible. Qui se chargerait cependant de cette négociation ? Quelle forme et quel caractère lui donnerait-on ? Si Paris eût été une place de guerre ordinaire, il n’y aurait eu aucun doute : c’était le rôle de l’autorité militaire de négocier la reddition de la ville ; mais Paris n’était une place de guerre que de nom et par circonstance. C’était avant tout la capitale de la France, le siège du seul pouvoir reconnu dans le pays ; sa défense avait été une œuvre de gouvernement encore plus qu’une œuvre militaire, et d’ailleurs il eût été par trop dur d’infliger au général Vinoy, qui avait le commandement depuis le matin, la mission cruelle de conduire le deuil de cette défense qu’il n’avait pas dirigée. Était-ce aux maires de Paris d’aller négocier une reddition toute municipale dans l’intérêt de la cité ? On avait pensé à cette combinaison, on avait sondé les maires, qui s’étaient aussitôt récriés, déclinant absolument le fardeau qu’on voulait leur imposer. On agitait bien d’autres idées, et quelques-unes assurément fort étranges ; on allait jusqu’à discuter en plein conseil la possibilité de mettre la question au scrutin populaire, d’appeler Paris à nommer des mandataires spéciaux pour capituler, — comme si tout cela pouvait être sérieux en présence de la faim et de l’ennemi, comme si, après avoir pris la responsabilité de tout depuis quatre mois, on avait le droit de dire à une population tout entière : Si la victoire nous était restée, nous en aurions gardé l’honneur ; maintenant tout est perdu, à vous de vous tirer d’affaire par des délégués spéciaux ! D’autres proposaient de combattre jusqu’au bout, de pousser la défense jusqu’à la dernière extrémité, puis d’ouvrir les portes et de se livrer sans conditions, — comme si ce n’était pas toujours se rendre sans avoir même le bénéfice de la reddition, comme si on ne s’exposait pas ainsi à laisser Paris se débattre dans ses convulsions et dans sa détresse, tandis que l’ennemi aurait attendu tranquillement qu’on vînt lui porter une soumission régulière, lui offrir des garanties, avant de permettre le ravitaillement. Les plus raisonnables enfin demandaient que du moins, si on devait négocier, on ne traitât que pour Paris, sans engager la province, et rien n’eût été certainement plus désirable, si on l’avait pu ; mais c’était là encore une étrange illusion de se figurer qu’on pouvait rendre Paris comme Toul ou Phalsbourg, sans qu’il en résultât d’autres conséquences, sans que l’ennemi, arrêté devant nos murs depuis quatre mois, vainqueur sur tous les points de la France, cherchât à tirer parti de cette