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fille de l’eau bénite dans laquelle on avait trempé des reliques. Cette sainte infusion la guérit ; mais les Soltikof ne se tinrent pas pour battus. Abusant de la jeunesse du prince, leur pupille, ils lui affirmèrent que les médecins avaient jugé la maladie incurable. Sous leur pression, le conseil des boïars déclara que Nastasia « ne pouvait faire le bonheur du tsar ; » Malgré la douleur du prince, elle fut envoyée en exil avec toute sa famille. Alors le jeune empereur, qui avait montré tant de faiblesse lorsqu’il s’agissait de soutenir sa fiancée, déploya une invincible obstination quand il fut question d’en choisir une autre. « J’ai contracté mariage suivant la loi de Dieu, répétait-il : on m’a fiancé une tsarine ; le n’en épouserai jamais d’autre., » Il se réjouit de l’échec de son gouvernement dans les tentatives de négociation matrimoniale avec l’Occident. Le roi de Danemark refusa la main de sa nièce, parce que « sous Boris Godounof on avait empoisonné son frère, fiancé à la princesse Xénie, et qu’on empoisonnerait de même la jeune fille. » La réputation des Borgia de l’aristocratie russe commençait à se faire en Europe. Bientôt le crédit des Soltikof déclina. Le tsar ordonna une enquête : il fut reconnu que sa Nastasia était d’une très bonne santé, que jamais elle n’avait été malade gravement, que ses favoris avaient menti effrontément.

Des circonstances impérieuses l’empêchèrent de réparer entièrement l’iniquité. Après avoir lutté longtemps, il dut se résigner à choisir, ou plutôt sa mère choisit pour lui Marie Dolgorouki. Le 19 septembre, on fit de grandes réjouissances au Kremlin ; il y eut liturgie dans les églises, festins pompeux, sonneries de cloches et de trompettes. Le lendemain, une maladie mortelle se déclara chez la fiancée. Elle languit trois mois et mourut. Il fut reconnu qu’on l’avait empoisonnée, mais on ne put découvrir les coupables. Les meurtrières intrigues des boïars étaient la plaie de la Russie ; il eût fallu pour les dompter une main autrement vigoureuse que celle de Michel Romanof. On se prenait à regretter le Terrible. « Que Dieu ouvre les yeux au tsar, écrivait un résident hollandais, comme il les a ouverts à Ivan ! autrement la Russie est perdue. » Les troisièmes fiançailles de Michel avec Eudoxie Strechnef furent plus heureuses, grâce aux précautions dont on entoura la fiancée ; la haine de ses ennemis ne put que s’épancher en mauvais propos.

Alexis, père de Pierre Ier, dut passer par les mêmes épreuves. Il avait fait choix en 1647 d’Euphémie Vsévolojski. Ce choix déplut au boïar Morozof, qui était l’homme du moment. Les coiffeuses du Terem furent-elles gagnées par lui ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que le jour où elle se présenta devant son fiancé elle tomba en faiblesse. On lui avait, semble-t-il, tiré les cheveux avec tant de force pour former sa parure de tsarine que la douleur avait déterminé l’évanouissement. Les Morozof persuadèrent au jeune prince qu’on l’avait