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descendait le nouveau tsar pour aller se faire couronner à l’Assomption, sur les marches duquel Ivan le Terrible contempla la comète qui lui annonçait sa fin prochaine, et que monta Napoléon, déjà tout pensif, pour prendre possession du palais des tsars. Il fut un temps où cette résidence souveraine répandait autour d’elle le respect et la crainte. Quelque chose de la terreur religieuse qu’inspirait la présence du tsar s’attachait à sa demeure. C’était avec tremblement qu’on approchait de l’antre du lion. Les plus orgueilleux boïars devaient arrêter leur traîneau ou leur voiture à distance respectueuse de l’escalier impérial. Le seigneur qui enfreignait la défense était immédiatement saisi, jeté en prison, dépouillé de son rang. Le domestique de noble qui, même par ignorance, aurait amené ses chevaux dans la cour intérieure était fouetté jusqu’au sang. L’homme du peuple ou le bourgeois qui passait devant le palais était tenu d’ôter son bonnet. Personne ne pouvait paraître en armes dans l’enceinte sacrée ; même les ambassadeurs d’Occident étaient forcés d’ôter leurs épées. Le château impérial était une chose si sainte que c’était blasphème que d’y faire entendre une parole injurieuse et profanation que d’y manquer de respect même à un égal. D’ailleurs les châtimens étaient indispensables pour discipliner ces nobles à demi barbares, qui avaient un langage de palefreniers, et qui des paroles grossières étaient toujours disposés à en venir aux coups de poing.

Malheureusement les auteurs de cette intelligente restauration du palais tsarien ne nous ont rendu que les appartemens du prince. Il faut se figurer autour de l’édifice une multitude d’autres constructions, en bois pour la plupart. Les toits en étaient recouverts de cuivre doré ou de plaques métalliques, peintes de couleurs criardes. Aux façades, toute sorte d’ornemens en bois de sapin ou de bouleau : des tours en poivrière, des dômes en bulbes d’oignon, des colonnes, des flèches, des vérandahs, des belvédères, des galeries à jour, des fenêtres de tous les styles. Le simple bois des forêts de Russie se prêtait à toutes les fantaisies de l’artiste. La demeure des tsars n’était pas précisément un palais ; c’était plutôt une collection de palais, un fouillis de cabanes splendides, de chalets vraiment impériaux. Parmi les villas polychromes, les églises à coupoles dorées, les édifices profanes et sacrés, étaient encore, dispersés ça et là les bureaux, les chancelleries, les magasins qui servaient à l’administration dus domaine et de l’empire. Ici le Palais des Ambassades, le Palais des Armes, le Palais des Icônes et des reliques ; là le Palais du Trésor, renfermant non-seulement les monnaies et la vaisselle précieuse, mais les fourrures, les draps, d’or et d’argent, les brocarts glacés ; ailleurs la lingerie, ailleurs encore le Palais des Chars, la Cour aux Provisions, l’Apothicairerie, etc,

Il est à regretter, pour l’étude proposée, que les édifices destinés