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à la branche aînée. D’autres enfin désiraient que l’Espagne allât chercher son roi dans une cour étrangère.

Le général Prim avait besoin de beaucoup d’attention et d’adresse pour maintenir quelque cohésion dans une majorité si bigarrée. Il fallait mater les indociles, satisfaire les ambitieux par un portefeuille et les vaniteux par un hochet, rassurer les craintifs, calmer les impatiens ; tel un bon chien de berger qui tourne sans relâche autour d’un troupeau en marche, retenant l’avant-garde, ramenant le mouton aventureux qui s’écarte, hâtant celui qui s’attarde. Chaque parti s’efforçait de gagner le général à son candidat, car don Juan, comme le dit quelqu’un au congrès, ressemblait en politique au zéro qui, placé à la droite d’un chiffre, en décuple la valeur, de telle sorte qu’une candidature cotée 9 à la bourse politique valait 90 dès qu’elle passait pour sourire au président du conseil. Sa principale habileté était de ne décourager aucune illusion. « Il sait bien, disait l’opposition, qu’il ne peut se soutenir longtemps dans cet équilibre instable, qui consiste à être à la fois avec tous les partis, contre tous les partis et au-dessus de tous les partis. Le secret de sa politique est de donner des espérances à tout le monde. Il ne les donne point par ses promesses, car il est circonspect et n’a garde de rien promettre. Il ne les donne non plus par ses paroles, car il est très réservé et ne parle guère. Il ne les donne pas davantage par ses actes, car il est très diplomate et ne s’engage jamais ; mais il les donne par ses énigmes, par ses réticences, par le mystère de sa conduite. » On eût dit ce rocher dépeint par le poète, dont l’éternelle patience résiste victorieusement aux assauts que lui livre la vague, a Ainsi résiste aux importunités d’un sot l’homme qui sait et qui se tait[1]. »

Don Juan Prim ne se taisait pas toujours. Il parlait dans les occasions pour dénoncer à la majorité les dangers qui la menaçaient, pour l’adjurer de chercher son salut dans une politique de conciliation, hors de laquelle on ne pouvait attendre que misères et désastres. Ses avis étaient-ils mal reçus, il se plaignait qu’on lui rendît le gouvernement impossible, et il faisait mine de se retirer. Cette manœuvre, exécutée avec une précision militaire, ne manquait jamais son effet. Un de ses adversaires, lui rappelant un jour qu’il avait dit jadis au général Narvaez : « Enfermez les troupes dans les casernes, et vous verrez ce que durera votre gouvernement ! » poursuivit en ces termes : « Je ne ferai pas la même proposition à

  1. .....Una peña
    Que los golpes de las aguas
    Sufre como la porfifa
    De un necio el que sabe y calla.