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sans à leur image, ils augmentent le nombre des élus. C’est le second degré de la sélection naturelle. En voici le troisième degré : à mesure que ces animaux rencontrent de nouvelles difficultés à surmonter, certains de leurs organes utiles à la lutte se fortifient, se développent, et deviennent en s’accroissant des différences individuelles. Ces différences avantageuses se transmettent par l’hérédité ; en se transmettant, elles s’accumulent, s’exagèrent, et à l’aide des siècles elles constituent enfin des espèces nouvelles.

Ce qui caractérise la sélection naturelle, c’est qu’elle est inconsciente. Le choix qu’elle suppose est aveugle ; l’animal n’y apporte que l’élan de l’instinct de la conservation individuelle : aussi ne suffit-elle pas à expliquer l’acquisition de certains avantages corporels, de certaines facultés mentales, qui ne sont pas nécessaires, au combat de la vie. Elle ne rend pas raison des caractères très frappans, quoique secondaires, qui distinguent les animaux de sexe différent, et qui donnent au mâle l’éclat visible d’une puissance et d’une supériorité d’ailleurs inutiles dans la bataille pour l’existence. La grandeur de la taille, la vigueur, les dispositions belliqueuses, les armes offensives et défensives, les colorations fastueuses, les ornemens variés, la voix et le chant, les émanations odoriférantes, sont généralement des privilèges que possèdent les mâles. Quel en est le but ? Plus on observe et plus on s’assure que ce ne sont pas là des moyens nécessaires de conservation individuelle ; dépourvues d’armes et d’ornemens, les femelles n’en subsistent pas moins en reproduisant leur espèce. Quant aux mâles sans vigueur, sans attraits, ils réussiraient néanmoins dans le combat pour la vie, bien plus ils deviendraient pères et pourraient laisser une nombreuse lignée, s’ils n’avaient point pour concurrens redoutables d’autres mâles plus robustes et mieux doués. Les avantages dont ces derniers sont comblés ne sauraient donc avoir d’autre fin que la victoire dans les luttes contre leurs rivaux en amour, et la séduction des femelles par le charme souverain qu’exerce la beauté.

Ce n’est point là une imagination vaine. Lorsque nous contemplons deux mâles se livrant un combat à outrance en présence de la compagne qui doit être la récompense du vainqueur, ou bien quand nous voyons plusieurs mâles déployant à l’envi la richesse de leur plumage et se livrant aux gestes et aux poses les plus grotesques devant une assemblée de femelles, juges du tournoi, qu’en penser ? On ne peut douter que ces animaux, bien qu’obéissant à un instinct impérieux, ne sachent ce qu’ils font et n’exercent d’une façon consciente leurs capacités physiques et leurs facultés mentales. Or ces attitudes des mâles, ces manèges de coquetterie, cet étalage de leur parure et ce déploiment calculé de leurs avantages impliquent chez les