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d’auxiliaires tels que les savans Huxley et Hœckel, le chef de la doctrine s’est enhardi et a franchi sa dernière étape. Il a posé à part, en termes explicites, dans un traité spécial, le problème de notre généalogie animale ; mais aussitôt il a compris qu’en touchant à l’homme il était obligé d’élever son point de vue et d’agrandir sa méthode. Pour décider si l’homme est le descendant modifié de quelque forme préexistante, s’est dit M. Darwin, il faut s’enquérir si l’animal varie dans ses facultés mentales comme dans sa conformation corporelle, si les variations de l’esprit se transmettent et s’accumulent héréditairement comme les variations du corps. Dès lors l’analyse des puissances esthétiques, morales, intellectuelles, s’ajoutait inévitablement à l’étude des métamorphoses de la structure. On avait eu le transformisme physiologique, on allait avoir le darwinisme psychologique.

Cependant, comme il était aisé de le prévoir, la nécessité de recourir à la psychologie comparée devait bientôt être sentie aussi dans le camp opposé. Philosophes et naturalistes comparent donc aujourd’hui l’esprit des bêtes avec la raison humaine, — les uns pour montrer que celle-ci n’est que l’allongement de celui-là, les autres afin d’établir qu’entre les deux il y a une coupure, un hiatus, un abîme peut-être. Déjà depuis plusieurs années, il faut le dire, des zoologistes d’une science éminente, MM. Louis Agassiz et de Quatrefages entre autres, avaient pris les devans. Les philosophes tardaient un peu, et la Revue les pressait de hâter le pas[1] ; mais bientôt, comme si cet appel avait été entendu, des ouvrages approfondis et d’un incontestable intérêt étaient publiés en même temps des deux côtés. Sans attendre davantage, il y a lieu d’examiner ce que ces tentatives en sens inverse ont apporté de lumière dans un débat qui prend trop souvent le caractère d’une guerre violente, et qui tournera au profit de la vérité dès qu’on n’y sera plus animé que de l’amour de la science.

Parmi les évolutionistes aux yeux desquels la raison de l’homme n’est que l’instinct de l’animal graduellement agrandi, M. Darwin garde le premier rang. L’ouvrage sur la Descendance de l’homme et la sélection naturelle, le livre tout récent sur l’Expression des émotions chez l’homme et chez les animaux, composent ensemble une vaste théorie où le problème de nos origines intellectuelles et morales prédomine sur celui de notre filiation organique. C’est donc aux idées de M. Darwin contenues dans ces deux ouvrages que la discussion critique doit principalement s’appliquer tout en tenant grand compte des écrits qui, sans être sortis de sa plume, appuient

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1869, l’étude intitulée l’Atome et l’esprit.