Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destie. On nous concède tout le menu fretin des vertus : le reste est allemand de nature. On dit « la bonne foi allemande, la moralité allemande, la profondeur allemande, la modestie allemande. » Ces mots « la science allemande » désignent, non point les travaux de savans nés en Allemagne, mais une sorte particulière et supérieure de science. La nature elle-même n’échappe pas à cette prise de possession : le sol allemand a toute sorte de vertus spéciales, et l’on dit « le chêne allemand, » comme si le roi des forêts portait en ce pays des feuilles et des glands d’une espèce exceptionnelle. Ainsi, entre l’Allemagne et le reste du monde, l’orgueil national trace une frontière infranchissable. Cette disposition d’esprit sert à merveille la politique de la Prusse, car elle induit les Allemands à mettre au-dessus des lois humaines l’intérêt de l’Allemagne, et, comme les questions d’intérêt sont des questions de force, à tout sacrifier pour l’organisation d’une force redoutable. De là cette colère du socialisme contre un sentiment si bien exploité par le grand ennemi, et les efforts qu’il fait pour détruire le patriotisme au profit de la fraternité universelle, c’est-à-dire de l’Internationale.

Lassalle n’a point connu l’Internationale, mais Karl Marx en a répandu les maximes dans l’Allemagne entière. Son influence est grande, surtout parmi les démocrates socialistes, et ceux-ci ont écrit dans leur programme : « Attendu que la question de l’affranchissement du travail n’est ni locale ni nationale, mais sociale, et qu’elle se retrouve dans tous les pays où existe la société moderne, le parti démocrate socialiste se regarde, autant que cela est permis par les lois sur les associations, comme une branche de l’Internationale et s’unit à ses efforts. » La ligue générale des ouvriers allemands, après avoir hésité quelque temps à rompre, sur ce point encore, avec la tradition lassalienne, vient de déclarer à son tour qu’elle se considère comme « représentant la classe ouvrière allemande dans l’ensemble du mouvement socialiste international. » Ainsi des deux parts on abjure tout patriotisme. Pour le prolétaire allemand, la patrie n’est plus qu’un champ de bataille. « Tout internationaux que nous soyons, dit Liebknecht, nous commettrions une grande faute, si nous ne nous intéressions point aux affaires nationales. Nous sommes en Allemagne : l’Allemagne est notre poste de combat ! »

L’Internationale a tout un corps de doctrines qui se retrouvent dans les journaux allemands, et qu’il serait inutile de reproduire, car elles sont vraiment internationales et trop connues en France. Des professions tapageuses d’athéisme, l’éloge enthousiaste du matérialisme, des prophéties sur l’âge d’or qu’inaugurera « la mort du dernier prêtre et du dernier roi, » tout ce qu’on entendait dans nos clubs rouges se lit quotidiennement dans la presse rouge d’Allemagne. Un peu de pédantisme donne à ces banalités sinistres le