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d’assises de Leipzig. « Le socialisme, dit Bebel, n’est plus une question de théorie, c’est une question de force, qui sera dénouée, non dans un parlement, mais dans la vue et sur le champ de bataille. Si nous avons derrière nous la masse des travailleurs de Berlin, nous pouvons dire : Berlin est à nous ! Et si Berlin est à nous, nous pouvons dire que l’Allemagne nous appartient, car à Berlin est le grand ennemi et doit être frappé le grand coup ! »

C’est contre le grand ennemi que sont dirigées les plus constantes attaques. La personne de l’empereur Guillaume est à peine protégée par la loi, et celle de M. de Bismarck est en toutes circonstances très malmenée. Les mesures favorables aux travailleurs que promettent les feuilles officieuses sont un produit « de la tartuferie bismarckienne. » Les lois, dites libérales, sur les rapports de l’église et de l’état ne trouvent point grâce devant les plus farouches ennemis de l’église, et personne ne les a mieux jugées que ne fait en deux mots le Journal démocratique : « elles n’affranchissent pas, elles enchaînent. » — « Le culte moderne du dieu Bismarck, disent encore les Feuilles démocratiques, n’admet point qu’un autre dieu ait des prétentions absolues à l’adoration. Soumettre sa conscience à l’infaillibilité bismarckienne, c’est le premier devoir du national-libéral. » Il ne faudrait point voir dans cette inimitié contre la Prusse l’expression de rancunes particularistes. Ces socialistes ne sont pas des patriotes allemands dont le rêve est de secouer l’hégémonie prussienne, car ils combattent avec acharnement l’idée de la patrie. Ils s’efforcent de diminuer les dernières victoires de l’Allemagne. Ainsi l’État populaire a fait un tirage spécial d’une série d’articles sur l’histoire de la Prusse avant et après Iéna; les foudroyans succès de l’armée de Napoléon y sont racontés avec complaisance, et la brochure se termine par ces mots : « que l’on compare la guerre de 1807 à celle de 1870, on verra si tout ce bavardage sur les succès inouis, sans pareils, de l’armée allemande, a la moindre apparence de raison. » Le chauvinisme est impitoyablement poursuivi par toute la presse socialiste. Elle trouve dans ce travers une inépuisable matière à raillerie, car les têtes les plus solides n’ont pas su s’en défendre. Ce n’est point que les moralistes manquent en Allemagne pour signaler le danger de l’admiration de soi-même et du mépris de son ennemi. M. de Sybel, un des premiers, a bien voulu reconnaître que nous ne sommes point le peuple absolument corrompu qu’on se représente au-delà du Rhin. A l’envi, les journaux répètent qu’il faut se mettre en garde contre un défaut qui nous a perdus, et, pour joindre l’exemple au précepte, ils condescendent à faire des qualités françaises une peinture qui paraîtrait à des Français trop flatteuse; mais il faut aller au fond des pensées : l’orgueil est visible derrière ces exhortations à la mo-