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lui aucun sacrifice sans l’appât de quelque profit immédiat. M. le professeur Held, dont les sympathies pour la classe laborieuse sont irrécusables, déplore « l’épais et grossier matérialisme » auquel elles sont en proie. Les meneurs du parti ne peuvent donc, comme faisait Lassalle, négliger l’intérêt du moment et remettre la réforme entière au temps où l’état, emporté d’assaut, serait au service des réformateurs. Aussi les démocrates socialistes et la ligue générale ont organisé des associations ouvrières. Elles diffèrent de celles de MM. Hirsch et Dunker en ce point important qu’elles ont un but révolutionnaire avoué : par elles, les deux partis organisent des grèves et disciplinent l’ouvrier pour la grande lutte, tout en jetant à ses appétits surexcités quelque satisfaction, comme l’augmentation du salaire ou la, réduction des heures de travail. En même temps leurs journaux font une énergique propagande. Ils sont nombreux, mais il ne servirait de rien de les passer en revue l’un après l’autre, car ils sont d’accord sur tous les points essentiels. Notons seulement que la ligue générale a pour organe le Nouveau Démocrate socialiste, et que les autres feuilles se groupent autour de l’Etat populaire (Volksstaat), organe du « parti démocratique socialiste. »

Les théories d’économie politique qu’on rencontre dans la presse révolutionnaire n’ont qu’un intérêt médiocre, elles ne font que retourner sous toutes ses faces le problème de l’organisation du travail par l’état ; mais les écrivains mettent un soin particulier à déclarer qu’ils n’attendent et ne veulent rien des maîtres actuels de l’état. C’est presque un crime que de leur adresser une requête. Au congrès de Mayence (septembre 1872), la proposition de réclamer des corps législatifs une étude sur la situation des classes ouvrières fut repoussée, attendu qu’il est « incompatible avec la dignité des travailleurs de pétitionner auprès des gouvernemens et des assemblées actuels. » On devine aisément de quel œil ces vrais socialistes regardent les socialistes de la chaire. L’Ami du peuple de Brunswick, résumant les travaux de ces docteurs au congrès d’Eisenach, les traite en ennemis, en ajoutant cependant que des têtes aussi confuses ne sont pas capables d’entraver le mouvement. « Défiez-vous d’eux! s’écrie le journal de Chemnitz. Ils vous apportent une aumône, une soupe de mendians ! » Leur désintéressement même paraît très problématique. « Ce sont, dit la même feuille, les socialistes brevetés de sa majesté le roi de Prusse! » Entre révolutionnaires et réformateurs, l’entente est impossible. « Chaque membre du parti, dit l’article 2 du programme des démocrates socialistes, s’engage à défendre énergiquement le principe suivant : l’état actuel, politique et social, est injuste au plus haut degré, et doit être combattu avec la plus grande énergie. » Or on voit de quel combat il s’agit dans les écrits qui amenèrent en 1871 Bebel et Liebknecht devant la cour