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Le Correspondant pour les imprimeurs et les fondeurs en caractères est rédigé dans le même esprit que l’organe des chapeliers, mais avec plus de talent. En Allemagne comme en France, le typographe se considère comme un ouvrier d’élite, comme un « pionnier de la classe laborieuse; » orateur en même temps qu’écrivain, il rédige des manifestes en descendant de la tribune. Tel est M. Härtel, rédacteur en chef du Correspondant : il est fort remarqué dans les congrès, et pour son journal il écrit de longues leçons d’économie politique. Aux applaudissemens des socialistes de la chaire, il combat la doctrine admise sur la loi du salaire; en attendant l’établissement universel des sociétés coopératives, qui donneront à l’ouvrier le revenu entier de son travail, il veut, sans s’expliquer clairement, qu’on se serve des associations « pour changer au profit du travailleur la loi de l’offre et de la demande. » A la vérité, il se dit partisan du progrès lent, désabusé des chimères de Lassalle et du communisme français, mais il ne faut pas trop se fier à ces dispositions conciliantes. Dès qu’une grève ou la moindre discussion éclate, le langage du Correspondant devient singulièrement amer. Lui aussi d’ailleurs, il a des espérances indéfinies. « Marchons toujours, dit-il, réunissons tous les travailleurs sous la bannière des associations; le reste viendra de soi! » On comprendra ce qu’il faut entendre par ce mot en voyant le journal avouer un jour que la grande majorité des imprimeurs associés « appartient d’idée et de fait à la démocratie socialiste. »

Un tel aveu serait superflu de la part du Compagnon, organe des ouvriers bijoutiers, et du Messager, organe des ouvriers fabricans de cigares. La première des deux associations, fondée il y a quatre ans, n’était pas au début pénétrée de l’esprit révolutionnaire qui l’a envahie peu à peu. On trouve aujourd’hui dans son journal tous les genres de déclamations, contre l’église par exemple, « qui se dit la fiancée de Christ, le libérateur des prolétaires, et qui a fait un pacte avec les exploiteurs du prolétariat, ces ennemis de Christ ! » Point d’appel à l’insurrection immédiate contre la société: mais le Compagnon avertit les ouvriers de compter sur eux-mêmes et de ne point attendre de l’état la réforme sociale; s’il accepte comme par grâce les améliorations partielles que proposent les « socialistes en frac, » c’est à titre d’à-compte sur la liquidation générale. Quant au Messager, sa devise empruntée à Lassalle : «les travailleurs sont la pierre sur laquelle il faut bâtir l’église du présent, » dit assez toute sa politique. C’est encore un journal de combat, qui aime la guerre et en connaît toutes les ruses. Le corps de métier qu’il représente est faible contre les patrons, car les fabricans de cigares, dont la marchandise ne se détériore pas en magasin, ont des dépôts considérables qui leur permettent de satisfaire leurs cliens sans