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les complimens d’usage, il alla, comme on dit, faire un tour dans le verger, et s’arrêta, au milieu des merveilles sans nombre qu’il rencontrait à chaque pas, devant un rosier chargé de (leurs, symboles de la pureté virginale. L’Amour qui le guettait lui décoche une flèche, et le voilà éperdument épris de la plus belle et de la plus fraîche des roses qui paraient l’emblématique arbuste. La cueillera-t-il, et d’autres pourront-ils aussi la cueillir en trompant la vigilance de Dangier, que Chasteté a préposé à sa garde? Bel Accueil et Vénus se liguent pour favoriser les amans de la rose; mais Male Bouche, Peur, Honte et Jalousie se liguent à leur tour contre eux, ce qui donne lieu à une foule de péripéties qui se succèdent comme les luttes des dieux dans l’Iliade en faveur des Grecs ou des Troyens. Guillaume de Lorris n’achève point l’histoire de son rêve; quand il s’arrête, la fleur est toujours sur le rosier virginal, et Bel Accueil est prisonnier dans une tour, où l’ont enfermé Paur, Male Bouche et Jalousie.

Dans la seconde partie du roman, Jean de Meung, au milieu de longues digressions où il met en scène une foule de personnages qui discutent sur la royauté, la propriété, la richesse, la vertu, les impôts, les moines mendians, raconte les nombreuses tentatives que fait l’amant de la rose pour délivrer Bel Accueil. Après mille échecs, Vénus allume au flambeau de Genius, le prêtre de la Nature, un brandon qu’elle lance sur la tour où Bel Accueil est enfermé. Cette tour prend feu; la garnison se sauve. Bel Accueil est délivré, et il permet à l’Amour de cueillir la rose. — Il n’est pas besoin d’ajouter que cette fleur est l’emblème de la femme aimée, qu’on ne peut obtenir qu’après de longues épreuves.

L’allégorie, on le voit, domine exclusivement dans cette composition bizarre, qui est comme le type du genre, et autour de laquelle viennent se grouper le Roman de la Poire, le Roman de l’Arbre d’amour, le Vrai amant qui vint à cort le dieu d’amor por desraisnier sa mie florie, le Roman de la très doulce Mercy au cœur d’amour espris, le Mariage des sept arts libéraux, etc. L’auteur de cette dernière allégorie suppose que Grammaire, veuve en premières noces, songe à se remarier. Elle fait part de ses intentions à ses filles, Musique, Logique, Rhétorique, Arithmétique, Astronomie et Géométrie, qui déclarent à l’unanimité qu’elles veulent faire comme leur vénérable mère. En ce moment paraissent deux graves personnages. Théologie et Médecine. Théologie ne veut pas interdire le mariage en vertu de ce précepte de l’école : melius est calefacere se quam uri, mais elle en expose les inconvéniens. — Taisez-vous, lui dit Médecine, vous n’y connaissez rien; je sais mieux que vous comment il faut traiter les femmes. — Elle tâte le