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Avec l’histoire seule, dont il a parcouru le cycle entier avant d’entrer en rhétorique, l’écolier supposé docile et laborieux est déjà abondamment muni, lorsqu’il aborde le discours; mais est-ce qu’on doit compter pour rien les connaissances et les idées de toute sorte dont ses maîtres des classes inférieures n’ont pas négligé de le fournir, chemin faisant, à propos d’un thème, d’une version, d’un mot-à-mot? Est-ce que les lectures qu’il a faites pendant cinq ans ne lui ont versé dans le cerveau qu’un flot d’images et de vocables? On reproche, nous le savons, à l’enseignement universitaire, de donner trop peu de place à la lecture. Nous ne voulons pas rechercher en ce moment si le reproche a toujours été mérité et si l’insuffisance des lectures n’est pas un vice spécial à l’internat. Il nous suffit que le reproche soit fondé pour de certains momens de l’histoire universitaire et pour de certains établissemens. Nous consentons à mettre sur ce point les choses au pis. Si peu que l’écolier ait lu de livres avant la rhétorique, il en a lu cependant plusieurs qui sont excellens. De tout temps en effet, depuis 1808 jusqu’à l’heure présente, on lui a mis entre les mains les chefs-d’œuvre oratoires, dramatiques et historiques de notre littérature. L’élève interne lui-même possède des bibliothèques de quartier dont la fondation est devenue obligatoire dans les lycées depuis les arrêtés et circulaires du 12 mai 1860 et du 25 août 1861. Dira-t-on que dans Racine et Corneille, dans Voltaire et Montesquieu, dans le Voyage du jeune Anacharsis et dans les Dialogues sur l’éloquence, il y a des figures et des mots, des mots et des figures, et rien de plus? Mais nous prétendons au contraire qu’avec un maître attentif et en éveil deux ou trois seulement de nos livres de classe, les plus rebattus, le Télémaque, les Mœurs des Israélites, l’Histoire de Charles XII, suffisent pour promener l’enfant à travers l’espace et le temps, en des régions peuplées d’hommes et d’événemens, denses de choses, illuminées d’idées. En amassant ce trésor de faits, l’écolier n’a pas appris la science de la vie, ni l’art de vivre, il ne les apprendra qu’en vivant; il a rassemblé les matériaux palpables qu’il mettra en œuvre dans le discours; il a préparé l’étoffe précieuse sur laquelle façonneront son âme, son imagination et son jugement.


II.

Ici nous demandons au lecteur qui nous a patiemment suivis un nouvel effort de patience. Pour que notre démonstration soit péremptoire, nous sommes contraints de le prier de se remettre sur les bancs de l’école et de vouloir bien assister avec nous à tout le