Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On verra, dans la suite des opérations dont la plaine d’Athènes fut le théâtre, que l’indiscipline suffit chez tous les peuples à faire des soldats sanguinaires et féroces.

On éprouve un singulier plaisir à consulter des témoins oculaires, à enregistrer des dépositions que l’on sait du moins impartiales. Il n’y a plus alors d’hésitation dans le récit qu’on ébauche, plus d’appréhension dans les jugemens qu’on veut porter. Le sentiment de la certitude vous envahit, et, sûr de ne pas trouver d’embûches sur sa route, on laisse courir sa plume avec une confiance qui peut devenir aisément de l’inspiration. La recherche de la vérité exige de longs et patiens efforts. Pourrait-on se flatter de la posséder, si l’on n’avait à confronter que les témoignages d’historiens nationaux ? Quant à la guerre étrangère un peuple a fait succéder la guerre civile, on ne doit accorder qu’une confiance très mesurée aux arrêts ou aux insinuations que la passion lui dicte. Il y a tout lieu de penser que l’étranger aura su apprécier avec plus de modération, — ce qui veut presque toujours dire avec plus de justice, — et les hommes et les choses. J’en crois volontiers les Rigny, les Halgan, les Reverseaux, les Le Blanc, les Villeneuve, quand ils m’exposent, dans leur sobre et sincère langage, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont observé, ce qu’ils ont pressenti. Un des hommes qui ont le plus valeureusement combattu pour la Grèce, un des philhellènes qui ont conservé dans l’avenir de cette héroïque contrée la foi la plus robuste, le colonel Voutier, me parlait récemment « de la funeste apathie d’une race débonnaire et non sans vertus, quoi qu’on dise. » Il plaignait la Turquie, il ne la maudissait pas. Pour lui, la Grèce affranchie devait devenir « le foyer intellectuel, » le flambeau, et par cela même l’instrument de salut de cet empire ottoman que certains politiques voudraient lui donner à détruire. Il ne renvoyait pas les Turcs aux enfers, ne jugeant même pas indispensable de les renvoyer en Asie. J’ai longtemps séjourné moi-même dans ces contrées aimées du soleil. Les lieux où se sont passés les événemens que je raconte me sont familiers ; je crois avoir compris la race qui les habite.. Quand on a vécu, ainsi que je l’ai fait, pendant près d’une année, dans l’intimité des Monténégrins, on ne se trouve pas tout à fait étranger au milieu des Albanais, des klephtes de la Morée ou des Rouméliotes. Il ne faudrait pas cependant confondre ces chrétiens demi-turcs avec la fraction plus policée qui a eu dans la guerre de l’indépendance un rôle si considérable. Ni les montagnards de Souli, ni les bergers du Magne, ni les gardiens des passes de l’Olympe et du Pinde, se fussent-ils assuré le concours des Hydriotes et des marins d’Ipsara, n’auraient pu constituer un gouvernement et se donner l’apparence d’une nation, si le parti civil qu’ils ru-