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canons. Quand ces voix de bronze ou d’acier fondu ont parié, l’affaire est décidée ; les vaincus se consolent en se disant qu’elles sont versatiles, qu’elles ont chanté bien des airs.

Si l’on excepte quelques périodes trop courtes, pendant lesquelles la machine de l’état parut se raffermir, l’Espagne a vécu pendant trente-cinq ans dans une suite de confusions que la force seule pouvait débrouiller. Qu’avons-nous voulu prouver ? Que rien ne lui a manqué pour être plus heureuse, ni les conseils, ni les lumières, ni les talens, ni les bonnes lois, ni les grands orateurs, ni les grands courages, ni même les grandes vertus, — rien hormis les mœurs publiques qui font prospérer les gouvernemens libres. Elle a ressemblé à ces fils de famille abandonnés à leurs caprices, dilapidant par leur insouciance un opulent patrimoine, tandis que près d’eux quelque médiocre bourgeois, qui sait compter et se priver, parvient rapidement à la fortune.

Cependant il serait injuste d’imputer toutes ses disgrâces à son caractère ; les circonstances ne lui ont pas été propices. Le ciel, dont elle a reçu tant d’avantages, lui en a refusé un qu’il ne tenait pas à elle de se procurer, c’est un roi que nous voulons dire, désireux et capable de faire son éducation. Rien ne s’improvise dans ce monde, tout régime nouveau demande un apprentissage. Ferdinand VII, ce Tibère dévot, eût racheté quelques-unes de ses iniquités envers ses peuples, s’il avait institué pour son héritier un vrai roi constitutionnel, qui leur aurait enseigné l’esprit légal en observant lui-même la légalité, qui aurait combattu l’esprit d’aventure en résistant à ses propres fantaisies, et se serait fait le sage et discret modérateur des partis, désarmant les folies par sa raison, les impatiences par sa patience. La tâche était rude, épineuse ; mais les destinées de l’Espagne auraient changé. Que ne peut un roi dans un pays qui croit encore à la royauté, lorsqu’il unit l’art au caractère et à l’entêtement dans le bien ? Au contraire, que peut-on espérer de l’essai d’une machine quand le mécanicien fait régulièrement ses pâques, mais recherche le plaisir et n’entend rien à la mécanique ?

Le mauvais génie de l’Espagne a voulu que la monarchie constitutionnelle fût inaugurée chez elle par une régence, de tous les gouvernemens le plus favorable aux intrigues, et par une reine de trois ans. Sous quels heureux auspices cette enfant, cette niña, parut préluder à son noble métier ! et qu’elle put bien dire avec le poète :

 Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux !

D’un bout à l’autre de l’Espagne, le respect et l’espérance la regar-