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étaient vraiment admirables, nous dit-il, passant et repassant à demi-portée de canon des Turcs, essuyant sans en paraître ébranlés ce feu violent qui eût dû les anéantir, et qui faisait jaillir l’eau de tous côtés autour d’eux. » La plupart du temps, les bricks grecs se bornaient à riposter sans sortir de la ligne. D’autres fois ils se formaient en groupes pour menacer, harceler, envelopper quelque vaisseau ennemi écarté de son poste. On eût dit alors une meute affamée ou, suivant l’expression du capitaine Brait, « une de ces foules curieuses qui, dans les fêtes publiques, s’agite et se presse pour mieux voir. »

Le moment est enfin venu où les brûlots vont entrer en lice. Toute l’escadre ottomane semble agitée d’un secret frisson. Des vaisseaux laissent brusquement arriver, d’autres, jetant leurs voiles sur le mât, se sont arrêtés court. En un instant, la ligne est rompue. Une seule frégate au milieu de ce désordre n’a pas encore perdu contenance : c’est la frégate que monte le capitan-bey. Elle tient le vent, séparée par un long intervalle des vaisseaux qui devraient l’appuyer. Treize bricks accourent à la fois et l’entourent. La frégate fait feu des deux bords. C’est un sanglier aux abois, mais un sanglier qui tient les limiers à distance. Un brick se détache du groupe le plus rapproché des assaillans. La brise le pousse rapidement vers la poupe de Tahir-Pacha : une de ces péniches remorquées dont la mission spéciale est de détourner les brûlots l’arrête et le saisit au passage ; elle le fait facilement dévier de sa route et l’abandonne au souffle qui l’entraîne. Une gerbe de flammes bientôt suivie d’une longue détonation annonce à l’armée turque le péril auquel son chef vient, grâce à un remarquable sang-froid, d’échapper. Vers quatre heures, le feu cesse. Appelés par les signaux répétés de Tahir-Pacha, les Turcs se rallient peu à peu autour de la frégate-amirale. Nos officiers constatent les dégâts. Deux bâtimens grecs sont démâtés ; des voiles pendent en lambeaux, des vergues fracassées encombrent les gréemens, les coques mêmes portent de nombreuses empreintes. On s’était battu cette fois à distance raisonnable. On y avait mis surtout plus d’acharnement. « Je ne pense pas cependant, écrivait l’amiral de Rigny, qu’il y ait eu plus de 25 hommes hors de combat dans chaque flotte. Le capitan-pacha m’a dit, quand je l’ai revu quelques jours plus tard, que les Turcs avaient eu 22 hommes tués ou blessés, et que, le soir, deux des bricks grecs engagés avaient coulé bas. »

Le lendemain de cette émouvante journée, dès que les premières lueurs éclairèrent l’horizon, nos officiers cherchèrent des yeux les deux escadres. La flotte ottomane occupait la même position ; la flottille grecque avait disparu. En ce moment arrivait de Folieri la