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miens le comprirent ; ils envoyèrent 200,000 piastres turques à Hydra (160,000 francs environ). Les Hydriotes de leur côté firent partir pour Samos quarante bâtimens, — trente-deux bricks de guerre et huit brûlots. — Sur un de ces brûlots s’embarqua le marin intrépide qui plus d’une fois avait valu à lui seul toute une flotte, le héros de Chio, de Tchesmé, de Scala-Nova, d’Alexandrie : Canaris.

Le 23 juillet 1826, Sachtouris quittait le mouillage d’Hydra ; le 24, le capitan-pacha appareillait du mouillage de Chio. Un premier engagement fut sans résultat. Le 28, les deux flottes se serrèrent de plus près. Khosrew, suivant son habitude, se tenait sous le vent de ses plus gros navires rangés en bataille sur une seule file. Au risque d’être enveloppé par cette flotte, qui pouvait en se repliant se refermer sur lui. Canaris se jeta dans la ligne et manifesta l’intention de la traverser. La ligne s’ouvrit prudemment devant « son brick noir. » Canaris alla droit au capitan-pacha. Un heureux coup de barre sauva la frégate amirale : l’incendie dévora le brick grec sans atteindre le bâtiment turc. Canaris était déjà dans sa barque. Détachées de la poupe des vaisseaux, qui les traînaient constamment à la remorque, de longues et rapides péniches s’étaient de toutes parts lancées à sa poursuite. Les Grecs faisaient force de rames ; deux chaloupes torques pourtant les atteignirent. Il fallut engager un combat corps à corps, se frayer le passage sabre en main. Canaris dans cette lutte fut grièvement blessé : on le transporta le jour même à Naxie ; il y reçut les marques de sympathie de ses compatriotes et les soins du chirurgien-major de la Dauphinoise. Pendant cinq jours, les deux flottes restèrent en présence. Spectateur impatient de ces rencontres sans issue, l’amiral de Rigny ne comprenait rien à l’inconcevable prudence des Turcs. — Comment, se demandait-il, une pareille escadre, qui comptait deux vaisseaux et six frégates, n’a-t-elle pas exterminé des bricks dont toute la défense résidait dans leur agilité et dans l’habileté de leurs matelots ?

Khosrew, heureusement pour les Grecs, n’était pas homme à brusquer les choses. Il se bornait « à faire quelques vives démonstrations tantôt vers Samos, tantôt vers Skiatos. » En réalité, ce grand temporisateur se flattait de vaincre sans avoir besoin de combattre. Les flottilles grecques tenaient rarement la mer pendant plus d’un mois. Pour avoir raison de Samos, il suffisait d’attendre le jour où les Samiens seraient par la retraite des bâtimens d’Hydra livrés à eux-mêmes ; mais le fruit vers lequel le pacha avait si souvent étendu da main ne devait pas encore se détacher de la branche. Un nouveau paiement de 250,000 piastres retint les Hydriotes sur la côte d’Asie. Khosrew découragé jugea le moment venu d’aller répa-