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un art inférieur : une critique résultant de ce mélange peut être de l’ordre le plus élevé.

Les libres allures du talent de M. Blaze se montrent ici tout à l’aise. Étranger à la marche méthodique de l’enseignement, comme à la déclamation de l’écrivain qui fait du style et songe avant tout à sa période, il cause volontiers avec le lecteur sans renoncer aux vivacités naturelles de son tempérament. A propos d’une de ces profanations exercées par les arrangeurs sur un poète immortel qu’on met en pièces pour attirer la foule, disjecti membra poetœ, il criera vengeance, il invoquera le grand nom dont on se fait une enseigne : « O Shakspeare! c’est ainsi que chez nous aujourd’hui la musique interprète vos œuvres!..» On croirait entendre Diderot, s’il avait été dilettante, et qu’il eût assisté à Vienne à la représentation d’une tragédie de Racine mise en livret par Métastase, le poète césarien de sa majesté l’empereur Charles VI. S’agit-il des ornemens ajoutés à cet opéra si simple du Freischütz, il assistera en silence aux efforts du machiniste qui se fait témérairement sa place au milieu des transitions rapides du compositeur et coupe en deux les nuances exquises de Weber pour baisser le rideau et mettre en mouvement ses lourdes machines à grand effet : il se taira bien quelque temps, comme Alceste écoutant malgré lui les caquetages « des bons amis de cour; » mais il éclatera, comme lui, dans son impatience. « Eh bien! non, décidément c’est trop de zèle ! cette musique en dit assez pour n’avoir pas besoin qu’on la commente de la sorte et qu’on l’illustre… » Ailleurs une cantatrice, qui a l’air de s’ennuyer, «bâille son chant, comme Chateaubriand bâillait sa vie. » Il a des réminiscences qui vous prennent à l’improviste et vous choquent d’abord; après réflexion, vous changez d’avis, vous riez même de les trouver justes dans leur bizarrerie. Par exemple, pour donner une idée du service que peuvent rendre à la musique certains livrets au style redondant, aux vers ballonnés, il rappelle l’histoire de ce crapaud gonflé de vent qui soulève la dalle d’un réfectoire et la maintient entre-bâillée jusqu’au retour d’un lézard, son compère, sorti pour aller vaquer aux provisions du petit ménage. On raconte beaucoup de choses des crapauds, mais il est certain que, pour expliquer dans la circonstance l’utilité des vers boursouflés, cela est bien trouvé.

Les nombreuses études de M. Blaze en ce genre particulier formeraient au besoin une histoire de la musique dramatique contemporaine. Elle commencerait par Mozart, qui en est le fondateur et le patriarche, toujours vivant, toujours inépuisable pour nous en émotions délicieuses et en effets puissans. Il est le tronc de l’arbre qui se partage en trois grandes branches, l’italienne, la française et l’allemande, croissant d’une manière presque parallèle, s’appuyant