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s’amuse dans Violante, il fait l’histoire triste et riante à la fois de la vie mondaine.

La meilleure pièce de ce recueil est assurément celle de Jenny Plantin. Si jamais drame intime produisit une vive impression sur les hommes qui sentent par l’imagination, c’est le suicide de Charlotte Stieglitz, cette femme de poète qui se donna froidement, résolument la mort pour secouer la torpeur où était tombé le génie incompris de son mari. Elle souffrait du découragement de celui-ci : elle s’imagina que leur félicité bourgeoise était le véritable obstacle à l’inspiration, qu’il fallait une vive secousse dans cette existence léthargique pour faire jaillir la source tarie par un bonheur vulgaire. De cette idée au sacrifice de sa propre vie, il n’y avait qu’un pas; on se souvient que, pour un époux aussi indigne de ce dévoûment que de cet excès d’admiration, elle se poignarda dans son lit[1]. Ce dénoûment étrange que le cœur supporte à peine, et qui s’explique seulement par la passion de l’art, devait tenter une imagination d’artiste. M. Blaze le plaça dans un cadre parisien. Dans ce ménage de l’enthousiasme crédule avec le faux génie, l’auteur trouve une ample matière à la satire, — les rimeurs désœuvrés, les Dantes et les Miltons de petits théâtres, les « poètes battus du givre » tragiques et ridicules,

Et mourant sur la paille en alignant des rimes.

Le drame a aussi sa bonne part, et le suicide de la pauvre enthousiaste Jenny est préparé en des pages émouvantes. Dirons-nous que Jenny Plantin est une femme allemande? Sans doute on pourrait trouver à Paris une Charlotte Stieglitz; mais il y a chez nous une égalité trop réelle peut-être entre les deux sexes pour qu’une femme se décide aisément à s’offrir en victime à la gloire de son mari. Une femme française paiera de ce prix la vie, non la renommée d’un époux : le premier de ces sacrifices ne suppose qu’un excès d’amour, le second est un aveu d’infériorité; toutefois si Jenny Plantin est quelque peu germanique dans son exaltation, son Robert est bien Parisien : il a été rencontré sur le bitume des boulevards; le cadre entier et les traits de mœurs qu’il renferme nous sont familiers.

Un humoriste est-il entièrement à l’aise dans les vers? Rien de plus spontané, de plus involontaire que le genre auquel il se livre. S’il accepte franchement le frein de la versification, c’est une chaîne, s’il se veut mettre à l’aise, il frise parfois les limites du prosaïsme. Nulle part M. Blaze n’a si bien échappé aux écueils que dans la Lé-

  1. Voyez les Écrivains d’Allemagne, p. 40, par M. Blaze de Bury, et M. Saint-René Taillandier, les Drames de la vie littéraire.