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exceptions, meurt plus ou moins jeune. Chez lui, dans la mesure où le don de nature lui a été départi, le poète ne s’est pas même endormi. Il a veillé sur le feu du sanctuaire, et il revient toujours apporter sur l’autel son offrande. Que ceux qui regardent volontiers les vers comme un péché de jeunesse en conçoivent un peu d’étonnement, cela est assez naturel en un temps où le tempérament poétique est devenu chose assez rare. Je sais que la prose sous une plume colorée, harmonieuse, suffit à bien des élans de l’imagination; pourtant que d’échappées heureuses fournissent aux vers les leçons mêmes des années qui fuient ! Que de souvenirs, que de pensées, qui prennent leur vol vêtues de brillantes couleurs, et dont on commencerait par couper les ailes ! Que de satires légères qui naissent de la connaissance du mal que la vie apporte, mais qui sous les formes trop réelles de la prose deviendraient d’amères invectives! Il y a des talens dont la santé ne se conserve qu’en venant parfois se retremper à la source primitive.

De semblables explications ne paraissaient pas nécessaires dans ce temps de poésie qui prit fin vers 1840 : c’est à deux ans près la date du premier volume de vers de M. Blaze. De ce recueil, nous ne dirons qu’un mot : il montre naïvement l’organisation musicale du poète, qui se dévoile par le choix des sujets comme par l’exécution. Tantôt c’est l’entretien, disons plutôt le débat de deux muses qui s’appellent poésie et musique, tantôt c’est une frêle jeune fille qui exhale son âme sur son clavier comme la cigale aux champs en un soir d’été. Je ne m’étonne pas qu’ailleurs il saisisse les paroles que disent entre elles les fleurs, comme dans les contes de fées Fine-Oreille entend les plantes pousser. Certains poètes trouvent un concert dans ce qui n’est pour les autres qu’un spectacle. Des mètres variés et faciles, des fusées d’imagination qui rappellent les caprices d’un maestro qui improvise, tout concourait dès lors à faire de M. Blaze un musicien de la poésie.

Cette surabondance est mieux gouvernée dans les Intermèdes et Poèmes, qui sont de 1859 : sauf une ou deux pièces dont la composition paraît encore flottante, l’auteur est en possession de ses qualités personnelles, qui ne l’abandonnent pas désormais, et qui font de lui un critique et un fantaisiste. L’humour est la marque du talent de cet écrivain et le gage de son originalité : partout où l’on en trouve l’empreinte, il intéresse. C’est peut-être pour cela qu’il captive le mieux l’attention dans les genres et dans les sujets où sa nature l’entraîne plutôt que la circonstance ou même sa volonté. M. Blaze a versifié avec agrément et bon ton des récits qui rappellent l’époque cavalière de notre poésie contemporaine. Soit qu’il transporte la scène à Lucerne, dans Bella, ou sur un bateau du Rhin dans la pièce de Bohême, ou simplement au milieu du Paris qui