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est souvent des jugemens comme des mots d’ordre. Combien de critiques ne font que répéter la consigne ! Le premier de leurs soucis est de s’assurer que tel cercle de personnes pense de telle ou telle manière, et de reproduire fidèlement cette pensée: s’assurer qu’elle est juste et vraie n’en est que le dernier. Si les séductions de la routine et de la paresse sont si puissantes, comment espérer que le libre travail des esprits sérieux puisse en triompher, s’ils n’avaient pas une alliée naturelle dans l’heureuse indocilité de ceux qui, à leurs risques et périls, suivent leur sentier particulier?

Ces réflexions se présentent à nous à propos d’un écrivain qui pourrait être rangé parmi les poètes, s’il ne l’était parmi les critiques de notre temps, et qui en ces deux qualités a toujours une physionomie spéciale. Soit qu’il donne à sa prose le tour facile et vif de son imagination, soit qu’il confie à ses vers les boutades de son goût, sa fantaisie conserve toute la liberté de certains écrivains allemands dont il rappelle souvent l’humour. On ne dira pas de lui, comme on a fait de tel autre, qu’en passant de la poésie à la critique il laisse une maîtresse préférée pour une femme légitime; on ne voit pas qu’il ait fait plus de dépense pour l’une que pour l’autre. Pour ne parler que de ses ouvrages les plus récens, il y a beaucoup d’histoire et de philosophie dans les vers de la Légende de Versailles ; les Maîtresses de Goethe sont des études poétiques et morales à la fois; dans les Musiciens contemporains, la littérature occupe le même rang que la musique : il est critique partout, mais en demandant à son tempérament, qui est capricieux, la forme et le fond de tous ses écrits. C’est là, n’en doutons pas, l’agrément particulier des écrits de M. Blaze de Bury; c’est aussi, disons-le, un motif d’hésiter sur la place qu’il occupe dans les lettres. La variété fugitive de son talent empêche au premier abord de saisir la physionomie de l’écrivain. C’est un juge distingué sans doute des œuvres littéraires, mais il a des vers qui se reconnaissent entre mille manières de versifier. Assurément il a porté la critique musicale à la hauteur d’un genre nouveau; mais ne faut-il pas rappeler qu’il a fait connaître et goûter à la source la poésie allemande? Et oublierons-nous ce volume sur le Faust de Goethe, que peu d’hommes en France, il y a vingt-cinq ans, pouvaient écrire? Il n’est donc pas sans intérêt de mettre de l’ordre dans cette variété de travaux, de chercher quelque idée d’unité dans ces tentatives diverses : on éprouvera sans doute avec nous, en parcourant rapidement cette carrière aventureuse, le besoin de se rendre compte de la vérité et de se prononcer suivant les inspirations de la justice.

Qu’il ait commencé par la poésie, nous ne saurions nous en étonner, s’il est vrai que tout homme porte en lui un poète qui dure au moins ce que dure le printemps de la vie, et qui, sauf d’heureuses