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libre, et qu’elle n’a pas revu depuis quatre ans qu’elle est mariée! On avouera que de pareilles contradictions sont unpsychologisch, invraisemblables au plus haut degré. Un cœur sec et positif comme celui de Toinette dans tout le cours des deux premier volumes peut devenir dans le troisième celui d’une coquette raffinée, mais il ne se change pas, du moins sans explication suffisante, en un brasier consumant tout de sa flamme dévorante, et nous n’avons pas d’explication. L’auteur ne prétend pas sans doute que nous considérions comme une explication suffisante l’idée burlesque de Toinette disant à Edwin qu’elle ne peut aimer ni lui ni personne, parce qu’elle est née d’une mère vendue à un homme qu’elle n’aimait pas, et ajoutant, après son mariage, que c’est l’amour qui s’est vengé en la dévorant de feux aussi violens que tardifs. Tout cela n’explique pas plus cette transformation imprévue que si le romancier, imitant les vieux conteurs, avait fait intervenir un enchanteur ou une fée ennemie, empêchant de sa baguette la jeune fille d’aimer quand elle l’aurait dû, et faisant de la même baguette qu’elle aime quand elle ne le doit plus. Le surnaturel n’explique jamais rien ; or, quand le roman réaliste nous met en face de contradictions psychologiques de ce genre sans parvenir à les concilier, c’est absolument comme s’il avait recours au surnaturel.

Nous trouvons une série de contradictions parallèles dans l’histoire d’Edwin le philosophe. Qu’un jeune homme tel que lui, pauvre, vivant loin du monde, sérieux de caractère et absorbé par l’étude, puisse approcher de la trentaine sans avoir connu l’amour, cela se peut et se voit; qu’un cœur aussi novice soit même plus exposé à prendre feu d’un moment à l’autre pour la beauté mystérieuse et piquante qu’il a rencontrée inopinément, c’est encore très compréhensible : est-il possible cependant d’admettre que le chagrin qu’il éprouve en voyant son amour repoussé le rende inflammable au point qu’il devienne amoureux du jour au lendemain d’une autre jeune fille qu’il avait connue sans l’aimer, parce qu’il a découvert que cette autre jeune fille est amoureuse de lui? Nous avons entendu parler d’hommes qui avaient épousé plutôt par compassion que par amour des femmes qui d’ailleurs ne leur déplaisaient pas, mais qu’ils n’eussent jamais songé à demander en mariage, s’ils n’avaient eu lieu de croire qu’autrement elles mourraient de douleur. Des unions contractées de la sorte peuvent être fort respectables et même heureuses; toutefois il ne faut les souhaiter à personne. Les hommes dont je parle n’avaient pas le cœur encore rempli des traits d’une autre femme; un homme sérieux et réfléchi comme Edwin ne peut se marier, comme on dit quelquefois, par dépit de n’avoir pas obtenu celle qu’il aimait. En un mot, nous au-