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régularité fatale et monotone ; de 1833 à 1868, son histoire offre l’incessant retour des mêmes causes et des mêmes effets, et peut se résumer en quelques mots.

La liberté absolue des élections est un beau rêve qui ne s’est réalisé jusqu’ici dans aucun pays. Partout la corruption, l’intrigue, certaines violences pratiquées avec art ou sans art altèrent ou faussent en quelque mesure le verdict du suffrage restreint ou universel ; mais chez les nations qui ont le tempérament et l’habitude de la liberté légale ces influences pernicieuses rencontrent de sérieuses résistances, qui en corrigent l’excès : le gouvernement parlementaire n’y est pas une fiction, la majorité des chambres y représente à peu près la majorité des électeurs. À cet égard, l’état de l’Espagne laisse trop à désirer ; elle a joui selon les temps de toutes les libertés, à l’exception de la liberté électorale, sans laquelle les autres ne sont qu’un leurre. C’est un adage admis de tout le monde dans la Péninsule, et l’expérience ne l’a jamais démenti, — que la gobernacion ou le ministère de l’intérieur fait les élections, qu’elles tournent toujours au gré de son désir. Il faut en accuser la faible organisation des partis. Le gros de la nation, plus ou moins désabusé sur leur compte, se défiant de leurs promesses, les regarde faire sans se passionner pour leurs querelles. On sait que l’Espagne pourrait défrayer de généraux toutes les armées européennes ; elle en a 4, paraît-il, pour 300 soldats. Il en est de même de l’état-major des partis ; il est considérable et renferme une élite d’hommes supérieurs, capables de conduire tous les centres droits et les centres gauches de l’Europe. La troupe elle-même est peu nombreuse ; ces généraux politiques n’ont à leur suite que les gens qui ont quelque chose à gagner avec eux, et dans le nombre il est beaucoup de ces esprits subtils, de ces muchachos listos, rompus au calcul des probabilités, qui au jour de la bataille s’effacent adroitement ou passent à l’ennemi.

De quels moyens ne dispose pas la gobernacion contre ces partis, qui sont des coteries minées par les défections ? Elle a dans sa main toutes les places et se réserve de faire pleuvoir cette manne bienfaisante sur ses amis de la veille ou du lendemain. Ailleurs l’administration se croit tenue à de certains ménagemens, elle s’applique à sauver les apparences. En Espagne, elle agit au grand jour, elle jouit d’une liberté d’allures qui touche au cynisme ; elle ressemble à ces gens qui, compromis d’avance et sachant bien qu’on ne croira jamais à leur vertu, s’en consolent en faisant rapporter à leurs vices le plus qu’ils peuvent. Gouverneurs civils, capitaines-généraux, magistrature, le ministère met en campagne tout son monde. Il prodigue les promesses et les menaces ; il présente quelque amorce à ces gros personnages qui font la pluie et