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pour une parente, et devenu inutile à sa destinataire. Toinette avait accepté à l’étourdie, sans se rendre compte du caractère compromettant de cette acceptation. Le jeune comte là poursuivait pourtant de ses déclarations brûlantes ; mais, dit-elle à Edwin, elle ne veut et ne sait pas aimer. C’est une délicieuse linotte, gazouillant à merveille, et le cœur sec comme un caillou. Edwin tâche de lui faire comprendre le danger qu’elle court en continuant de profiter des bontés de son poursuivant. N’avait-il pas vu un laquais du comte se conduire avec elle d’une manière insolente ? Elle quitte précipitamment son bel appartement à l’insu d’Edwin, et va se cacher dans une autre rue sans laisser son adresse.

Il faut savoir qu’entre temps Edwin avait été invité à donner des leçons particulières à une jeune demoiselle, fille d’une Juive et d’un petit peintre piétiste, qui s’était fait une spécialité dans la peinture en ne peignant jamais que des haies (zaun); il se nommait Kœnig, de sorte qu’on l’appelait dans les ateliers le Zaunkœmg, le roitelet. Sa femme était morte depuis quelques années. Mlle Léa, sa fille, était une jeune personne sérieuse, avide de savoir et tout à fait disposée à devenir une jolie athée, en dépit des sermons de son père et de son amie, une dame Valentin, veuve d’un professeur et chrétienne très fervente. Le père Kœnig, qui adorait sa fille, a cru combler ses vœux en lui donnant dans la personne d’Edwin un professeur di primo cartello. Les leçons ont commencé, et dès la première Mlle Léa a non-seulement mordu à belles dents à l’arbre de la science, mais encore est devenue amoureuse de celui qui lui apprend tant de belles choses, amoureuse à en perdre le sommeil et l’appétit. Inutile de dire que le père Kœnig ignorait les conclusions de la philosophie d’Edwin et ne voyait en lui qu’un jeune professeur très posé, très savant et de conduite irréprochable. La tante Valentin a le nez plus fin, et au bout de quelque temps elle découvre que Léa tourne de plus en plus le dos à la religion : aussi le professeur reçoit-il bientôt une lettre fort polie du père Kœnig, lui annonçant qu’il doit, à son grand regret à tous autres égards, le prier de discontinuer ses visites. La jeune fille est au désespoir ; cependant elle cache soigneusement son chagrin, et en vérité il y aurait de quoi donner envie d’être professeur et athée. Edwin, sans s’être donné la moindre peine pour cela, est adoré de deux femmes, Christiane sa voisine et Léa son élève.

Son cœur, nous le savons, était pris ailleurs. Mlle Toinette avait été dénichée dans sa nouvelle retraite par Marquard, qui furetait partout dans Berlin. Edwin a couru chez elle et l’a trouvée en train d’épuiser, ce qui lui reste d’argent avec le suicide pour perspective. Sans avoir de théorie arrêtée, Mlle Toinette est aussi un esprit très