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dii de seconde classe qui sont très rapprochés de l’olympe littéraire et y auront d’un jour à l’autre leurs grandes entrées[1]. Son incontestable talent et la vogue obtenue par ses précédens ouvrages lui créent des droits évidens à une présentation en forme.

M. Paul Heyse est Berlinois et compte aujourd’hui quarante-trois ans. Jeune encore, il partit pour l’Italie et y séjourna longtemps. C’est au soleil de l’Italie que ses aptitudes littéraires prirent leur premier essor. Appelé en 1854 comme professeur à Munich, il dut quitter cette position, pour des motifs que l’on connaît mal, mais qui paraissent se rattacher aux méfiances dont le littérateur prussien et libre penseur était l’objet dans la capitale de la vieille Bavière. Depuis lors il se voua exclusivement au roman et au drame. Peu à peu on vit se développer en lui une tendance à la fois didactique et paradoxale à laquelle il a peut-être trop cédé dans la composition de ses ouvrages. Ses romans italiens, ses Nouvelles, contenaient de charmantes descriptions et de non moins charmantes figures, mais ne brillaient pas précisément par l’austérité des principes. Qu’on en juge par l’un de ces récits intitulé Béatrice. Mme Béatrice est une jeune Italienne qui veut épouser un Allemand. Au moment où le mariage allait être conclu, l’amant doit s’absenter; une belle-mère et un père trop faible imposent à la jeune fille un autre époux, qu’elle accepte en se réservant de ne consacrer à son mari légal que les jours et de passer les nuits avec son premier fiancé, revenu le jour même du mariage. Les choses s’arrangent ainsi, non sans que le trop heureux Allemand trouve qu’il y a des félicités bien coûteuses, car il est forcé de rester toute la journée caché dans une chambre de la maison sans pouvoir en sortir un seul instant. Comment le roman continuera-t-il, surtout dans un pays où le divorce est inconnu? Heureusement pour les romanciers qu’ils ont toujours sous la main le moyen de dénouer les situations les, plus compliquées. Béatrice meurt, et è finita la commedia, une comédie qui sent son Boccace d’une lieue. — Trop souvent aussi dans les romans de M. Paul Heyse on voit un époux quitter sa cara sposa par dévoûment pour elle, c’est-à-dire pour ne pas être un obstacle à son bonheur. De telles bontés sont trop rares pour servir de thème fréquent, à moins de supposer chez l’auteur un parti-pris un peu suspect.

Il n’y a pas seulement des juges à Berlin, il y a aussi des critiques, et ceux-ci furent trop philistins pour approuver ces entorses infligées à l’idée pure du mariage. Leur blâme fit que M. Heyse,

  1. La Revue, dans sa livraison du 15 mai 1870, a publié une nouvelle de M. Heyse intitulée Méran; quelques autres (to Rabbiata, à Garde-Vignes, le Voyage à la recherche du bonheur, la Résurrection) ont été traduites vers la même époque.