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— Serais-tu jalouse de moi?

— Non, Lorenza, je te connais; je te connais même assez pour comprendre que tu joues en ce moment quelque terrible jeu.

— Tu te trompes, Quirina, je m’amuse.

— J’observe, ma chère, et je vois que chacun des regards que tu accordes au Français, la Wilson le rend à ton mari.

— Eh bien? piqûre pour piqûre.

— La partie n’est pas égale, on te prend plus que tu ne saurais prendre.

— Que veux-tu dire?

— Promets-moi de ne faire aucun éclat, quoi que je puisse te révéler?

— Parle, ma bonne Quirina; je puis tout entendre sans faiblir.

— Ce n’est pas ta faiblesse que je redoute, c’est ta violence.

— Ma violence! dit la créole en laissant tomber ses beaux bras le long de son corps et en regardant son amie à travers les cils de ses paupières à demi closes.

Doña Quirina secoua la tête d’un air de doute. — La Wilson:, dit-elle en. se penchant vers Lorenza et en parlant à voix basse, part demain dans la nuit pour Puebla.

— Eh bien!. voilà une bonne nouvelle pour toi, Quirina.

— Oui; mais ton mari part avec la chanteuse; elle le lui a fait promettre.

Doña Lorenza saisit le poignet de son amie et la dévora du regard. — Qui t’a dit cela? demanda-t-elle d’une voix brève.

— Mon mari; tu me fais mal, ma chère.

Doña Lorenza ferma les yeux, ses doigts crispés se détendirent, — Eh bien! reprit-elle d’un ton dégagé, ton mari s’est moqué de toi ; don Luis ne partira pas.

En: ce moment, Albert venait chercher la créole, qu’il avait invitée pour une valse, et elle s’éloigna, mollement appuyée sur le bras du jeune Français.

— Est-il vrai, lui demanda-t-elle à l’improviste que vous partez demain dans la nuit?

— D’où le savez-vous?

— De quelqu’un qui prétend que je ne dois pas croire à vos protestations de dévoûment.,

Albert allait répliquer.

— Chut ! dit la créole, on nous entend.

Au bout d’un instant, elle saisit au passage le bras de son mari et laissa le jeune Français dépité de n’avoir pu s’expliquer. Le jour allait paraître; les femmes s’envolèrent, et doña Lorenza, qui avait donné le signal du départ, voulut par caprice regagner le domaine à pied. Elle espérait, en marchant côte à côte avec lui, une confi-