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— Vous plaît-il de monter sur le mien? lui demanda Lorenza.

— Non certes, son regard seul m’effraie.

Andalou est pourtant un vrai mouton, dit la créole en flattant l’animal de sa petite main gantée, on fait de lui ce que l’on veut. — Et, comme preuve de son assertion, elle se mit, en dépit des obstacles du terrain, à décrire de grands cercles autour de la cantatrice, et arriva en même temps qu’elle sur le plateau.

On traversa des bois. Toujours en avant, doña Lorenza semblait jouer le rôle d’éclaireur. En la voyant trotter, galoper, revenir sur ses pas pour repartir de nouveau, Albert admirait de plus en plus l’incomparable écuyère, qui, tout en cheminant, se drapait dans son écharpe de vingt façons imprévues et piquantes. Les cavaliers mexicains, peu accoutumés à une promenade au pas, se lançaient souvent à la suite de leur compatriote, et avec eux Albert, bien que la cantatrice le rappelât sans cesse à son côté. Don Luis seul ne se plaignait pas, et lui, qui d’ordinaire donnait l’exemple des plus folles prouesses, se tenait patiemment près de la craintive étrangère, dont il ne perdait pas la monture de vue.

On déboucha dans une plaine où paissaient des taureaux, et les Mexicains, soulevant, leurs Lourdes coiffures, poussèrent de joyeux vivats.

— Maintenez votre cheval, señora, dit doña Lorenza en s’inclinant devant la cantatrice; excité par l’exemple, il pourrait de nouveau vouloir nous suivre.

Partant aussitôt ventre à terre, la créole piqua droit sur un des terribles animaux que l’on voyait au loin. Le taureau, d’abord indécis, redressa la tête avec lenteur, regarda d’un œil féroce l’ennemi qui venait de provoquer, puis, grattant: le sol du pied, il mugit lugubrement, et, sans attendre le choc dont il semblait menacé, il fondit lui-même à l’improviste sur l’écuyère. Celle-ci, enlevant sa monture, la fit pirouetter, et esquiva la rencontre ; mais le taureau déçu. revint à la charge, et doña Lorenza se mit à fuir devant lui. Elfe avait dénoué son écharpe, et, faisant flotter le léger tissu, elle l’offrait comme une proie à la fureur de son adversaire. Parfois, ralentissant l’allure de son cheval, elle feignait de se laisser atteindre pour repartir bientôt comme un oiseau qui prend sa volée. Dans une de ces évolutions, elle amena le taureau, aveugle, fou de rage, vers le lieu où se tenait la cantatrice, puis l’entraîna dans la plaine au moment où la Wilson reculait épouvantée vers le bois. Lorsque la créole, ayant lassé son antagoniste, revint près de ses compagnons, elle fut saluée de bravos frénétiques, et couverte par les fleurs que ses compatriotes arrachaient aux buissons pour les lui jeter à poignée.

Tous les cavaliers mexicains se mirent ensuite en chasse, et la